Dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est de Patrice, Eva et Goran, auquel je participe chaque année en mars, je vous parle aujourd’hui de la poète polonaise, Prix Nobel de Littérature en 1996, Wislawa Szymborska (1923-2012). J’avais déjà consacré un article à l’un de ses recueils, « De la mort sans exagérer », dont vous pouvez retrouver le lien ici.
Le recueil « Je ne sais quelles gens » est précédé par le discours prononcé par Szymborska devant l’Académie Nobel en décembre 1996. Il rassemble des extraits de huit recueils de la poète, échelonnés de 1957 à 1996, et il comporte aussi deux poèmes inédits.
** Note sur la poète
Elle suit des études de lettres et de sociologie. Elle est d’abord influencée par le poète Milosz et publie son premier poème en 1945. En 1948 elle se marie avec le poète Adam Wlodek dont elle divorcera en 1954. Ses deux premiers recueils poétiques répondent aux exigences du réalisme soviétique car elle est membre du Parti Communiste. Après la mort de Staline, sa poésie se libère et devient beaucoup plus critique et ironique envers ce régime. Dans les années 70, elle écrit plusieurs chefs d’œuvre, qui lui valent une grande renommée dans son pays et en Allemagne. En 1996, le Prix Nobel de Littérature la fait connaître au monde entier et la récompense – je cite – « pour une poésie qui, avec une précision ironique, permet au contexte historique et biologique de se manifester en fragments de vérité humaine. »
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Ces deux poèmes sont extraits du livre « Je ne sais quelles gens » paru chez Fayard en 1997 dans une traduction de Piotr Kaminski.
Page 45
Poème en hommage
Il était une fois. Inventa le zéro. D’un pays incertain. Sous l’étoile aujourd’hui noire peut-être. Entre deux dates dont nul ne peut jurer. Sans un nom quelconque, même douteux. Il ne laisse pas une pensée profonde en-dessous de son zéro sur la vie qui est comme… Nulle légende comme quoi, un jour, à une rose cueillie ajoutant un zéro, il fit un grand bouquet. Ou qu’au moment de mourir il enfourcha un chameau aux cent bosses, et partit dans le désert. Qu’il s’endormit à l’ombre des palmes du vainqueur. Qu’il se réveillera le jour où tout aura été finalement compté jusqu’au dernier grain de sable. Quel homme. Par la fente qui sépare ce qui est de ce qu’on rêve il échappa à notre attention. Résistant à toute destinée. Se défaisant de toute figure qu’elle tente de lui prêter. Le silence ne porte nulle marque de son passage. L’éclipse prend soudain l’apparence d’un horizon. Zéro s’écrit de lui-même.
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Page 139
Trois Mots étranges
Quand je prononce le mot Avenir, sa première syllabe appartient déjà au passé.
Quand je prononce le mot Silence, je le détruis.
Quand je prononce le mot Rien, je crée une chose qui ne tiendrait dans aucun néant.
Ces poèmes sont extraits du recueil « L’Iris sauvage » paru chez Gallimard dans la collection Du Monde entier, en édition bilingue, qui permet d’apprécier la traduction de Marie Olivier.
Note sur Louise Glück :
Louise Glück (née en avril 1943) est une poète américaine active à partir de la fin des années 60. Primée à plusieurs reprises, elle obtient le Prix Nobel de Littérature en 2020 pour l’ensemble de son œuvre poétique. Elle est professeur d’Université à Yale et à Stanford. Son recueil « L’Iris sauvage » est initialement paru en 1992 aux Etats-Unis et a reçu le prix Pulitzer. Il est à remarquer que l’œuvre de Louise Glück n’était pas traduite en français ni disponible chez aucun éditeur français jusqu’à l’obtention de son Prix Nobel.
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Page 27 :
Matines
Le soleil brille ; près de la boîte aux lettres, les feuilles du bouleau pliées, plissées comme des nageoires. En dessous, les tiges creuses des jonquilles blanches, Ailes de glace, Cantatrices ; les feuilles sombres de la violette sauvage. Selon Noah, les dépressifs détestent le printemps, déséquilibre entre les mondes intérieur et extérieur. Je plaide différemment – être dépressive, certes, mais en un sens, attachée avec passion au tronc vivant, mon corps bien enroulé dans le tronc fendu, presque en paix dans la pluie du soir presque capable de sentir écumer et s’élever la sève : selon Noah, c’est une faute typique des dépressifs, s’identifier à un arbre alors que les cœurs joyeux virevoltent dans le jardin telles des feuilles mortes, image d’une partie, pas d’un tout.
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Page 47:
Matines
Pardonne-moi si je te dis que je t’aime : on ment toujours aux puissants car les faibles sont toujours mus par l’affolement. Je ne peux aimer ce que je ne peux concevoir et toi, tu n’offres presque rien : es-tu comme l’aubépine, toujours là, similaire, au même endroit, ou serais-tu plutôt comme la digitale, inconstante, poussant d’abord, pointe rose sur la pente derrière les marguerites, et l’année suivante, violette dans la roseraie ? Comprends que c’est inutile pour nous, ce silence exhortant à la croyance que tu dois être toute chose, la digitale comme l’aubépine, la rose vulnérable comme la résistante marguerite – il ne nous reste plus qu’à penser qu’il était impossible que tu existes. Est-ce là ce que tu nous incites à croire ? Cela explique-t-il le silence du matin, l’instant précédant le frottement des ailes des criquets, l’instant précédant le combat de chats dans la cour ?
Dans le cadre des Feuilles allemandes organisées par Patrice et Eva du blog « Si on bouquinait un peu » et de Fabienne du blog « Livr’Escapades« , je vous propose une chronique sur la Convocation d’Herta Müller.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite notice biographique sur Herta Müller s’impose :
Née en 1953 en Roumanie, dans une famille qui appartient à la minorité germanophone du pays, elle étudie les littératures allemande et roumaine. Ayant à subir la censure en Roumanie, et mal vue par la dictature de Ceaucescu, elle émigre en Allemagne en 1987. Son œuvre romanesque dénonce les violences et les injustices contre les plus faibles et les crimes des régimes dictatoriaux, avec un style réputé pour sa remarquable poésie et sa beauté un peu sèche. En Allemagne, Müller est considérée comme une écrivaine de « World Littérature », « Littérature Mondiale ». Elle obtient le Prix Nobel de Littérature en 2009, devenant ainsi la douzième femme à recevoir cette distinction et le troisième écrivain de langue allemande, après Elfriede Jelinek et Günter Grass.
Note pratique sur le livre :
Première publication en Allemagne : 1997 Editeur : Folio Traduit de l’allemand par Claire de Oliveira Nombre de pages : 263.
Quatrième de Couverture :
« Je m’arrêtai en titubant, les jambes en coton, les mains lourdes. J’étais brûlante et gelée en même temps, je n’avais pas couru loin du tout, juste un bout de chemin, c’était seulement vers l’intérieur que j’avais parcouru la moitié de la terre. »
Roumanie, à la fin des années Ceausescu. Surprise en train d’envoyer un message vers l’Ouest, la narratrice est convoquée dans les bureaux de la Securitate. Jour après jour, les interrogatoires se succèdent, aussi absurdes qu’inquiétants. Où puiser la force de résister ? Auprès d’un mari qui boit pour se donner du courage ? Dans le souvenir de Lily, morte sous les balles ? Pour échapper à la folie paranoïaque, elle prend une décision. Demain, elle ne se rendra pas à la convocation…
Mon Humble Avis :
J’ai eu beaucoup de mal à avancer dans la lecture de ce roman car je me suis passablement ennuyée – un ennui de plus en plus envahissant au fur et à mesure que j’approchais de la fin. Pourquoi me suis-je autant ennuyée ? Je vais tenter de l’expliquer. Déjà, les personnages n’ont aucun trait de caractère ou qualité susceptibles de titiller la curiosité du lecteur ou, seulement, d’accrocher son attention : aucun n’est vraiment sympathique, certains sont antipathiques mais ils restent épisodiques, la psychologie des uns et des autres n’est absolument pas creusée, je les ai ressentis comme des vagues pantins, et surtout l’héroïne-narratrice dont les motivations sont bien difficiles à comprendre. Ce que l’on comprend, c’est que cette héroïne et son amie Lilli sont prêtes à tout pour fuir à l’Ouest et échapper à la dictature mais leurs tentatives ne sont pas du tout réfléchies, ce sont des espèces d’élans impulsifs, improvisés, maladroits, et forcément voués à l’échec.
Une autre raison de mon ennui : l’importance excessive accordée à des petits détails qui ne jouent aucun rôle dans l’histoire et dont on se fiche complètement. Par exemple, une page entière est accordée à la description d’une dame qui mange des cerises dans le tramway tandis que la mort de l’un des personnages principaux ne prend que quelques lignes. Sans doute, la cerise possède une connotation révolutionnaire avérée (les cerises de la Commune) mais je ne suis pas certaine que l’écrivaine ait vraiment recherché ce symbolisme allusif et, même si c’est le cas, je ne vois pas ce que ça apporte. En tout cas, on est noyé sous des informations d’apparence futile, superflue, et on se demande leur raison d’être racontées et développées.
Troisième raison de mon ennui : On n’a pas l’impression de progresser dans un roman structuré, il n’y a pas de développement à partir d’une situation de départ clairement définie. Tout est déstructuré, sans chronologie. L’autrice raconte les choses pêle-mêle, comme une espèce de méli-mélo d’événements tous en vrac.
Je veux bien croire que ces éléments qui m’ont tellement ennuyée constituent précisément tout l’intérêt et toute la savoureuse originalité de La Convocation d’Herta Müller mais il faut croire que je suis réfractaire à la littérature excessivement audacieuse et/ou expérimentale.
J’ai cependant apprécié l’écriture très poétique d’Herta Müller, chaque phrase est ciselée d’une manière artistique, avec une recherche d’étrangeté, de beauté insolite. Elle sait parfaitement jongler avec le langage ! Mais, au bout d’un certain temps, la beauté de son style n’a plus suffi à me captiver. Et il m’a même semblé à un moment que la multiplication un peu artificielle des tours de force stylistiques finissaient par nuire à la narration, en nous perdant dans trop de digressions !
Mon jugement a peut-être l’air trop dur – surtout vis-à-vis d’une lauréate du Prix Nobel au talent mondialement reconnu – mais je préfère dire sincèrement mon avis, ce qui n’enlève, bien sûr, rien au talent très respectable de cette écrivaine et à l’importance de son œuvre.
Un Extrait page 231
J’aimerais bien savoir combien de gens ont déjà été convoqués dans notre immeuble et les magasins d’en bas, à l’usine et dans la ville entière. Car enfin il doit tous les jours se passer quelque chose chez Albu, derrière chaque porte du couloir. L’homme à la serviette qui s’est précipité pour acheter de l’aspirine, je ne le vois pas dans la voiture. Peut-être a-t-il raté le tramway ou l’a-t-il trouvé trop bondé. S’il a le temps, il peut attendre le suivant. Une femme s’est assise à côté de moi, son postérieur est plus large que le siège, d’autant qu’elle a les jambes écartées et un cabas entre elles. Sa cuisse frotte contre la mienne, la femme fouille dans le cabas et en tire un cornet de papier journal plein de cloques rouges et ramollies. Elle se prend une poignée de cerises dans le cornet, tiens, des cerises justement. Elle crache les noyaux dans son autre main. Elle ne prend pas son temps, ne les suce pas soigneusement, il reste de la chair sur tous les noyaux. Qu’a-t-elle à se presser ainsi, personne ne va lui manger sa part de cerises, après tout. A-t-elle déjà été convoquée ou le sera-t-elle un jour ?
Ces deux poèmes sont extraits du beau livre Nuit de foi et de vertu, paru en version bilingue chez Gallimard en 2021 dans la collection « Du monde entier » et une traduction de Romain Bénini.
Louise Glück (née en avril 1943) est une poète américaine active à partir de la fin des années 60. Primée à plusieurs reprises, elle obtient le Prix Nobel de Littérature en 2020 pour l’ensemble de son œuvre poétique. Son recueil Nuit de foi et de vertu est initialement paru en 2014 aux Etats-Unis. Il est à remarquer que l’œuvre de Louise Glück n’était pas traduite en français ni disponible chez aucun éditeur français jusqu’à l’obtention de son Prix Nobel.
La plupart des textes qui composent ce recueil sont assez longs, courant souvent sur plusieurs pages, ce qui ne facilite pas leur diffusion sur Internet, aussi ai-je choisi les deux premières parties d’un long texte et un autre poème en prose, assez court, parmi ceux que j’ai préférés.
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Page 21
Une Aventure
I
Il m’apparut une nuit alors que je commençais à m’endormir que j’en avais fini avec ces aventures amoureuses dont j’avais longtemps été esclave. Fini, l’amour ? murmura mon cœur. A cela je répondis que beaucoup de découvertes importantes nous attendaient, tout en espérant que l’on ne me demanderait pas de les nommer. Car je ne pouvais pas les nommer. Mais la conviction qu’elles existaient – cela devait certainement compter pour quelque chose ?
2.
La nuit suivante m’apporta la même idée, cette fois à propos de la poésie, et dans les nuits qui suivirent plusieurs autres passions et sensations furent, de la même manière, mises de côté pour toujours, et chaque nuit mon coeur invoqua son avenir, comme un petit enfant qu’on eût privé de son jouet préféré. Mais ces séparations, dis-je, sont dans l’ordre des choses, Et une fois de plus je convoquai le territoire immense qui s’ouvre à nous à chaque adieu. Et avec cette affirmation je devins un chevalier glorieux s’éloignant dans le soleil couchant, et mon cœur devint le destrier qui me portait.
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Page 101
Musique interdite
Après que l’orchestre eut joué pendant un certain temps, et eut passé l’andante, le scherzo, le poco adagio et que le premier flûtiste eut posé sa tête sur le pupitre parce qu’on n’aurait plus besoin de lui avant demain, alors arriva un passage qui était appelé la musique interdite parce qu’il ne pouvait pas, le compositeur l’avait spécifié, être joué. Et pourtant il devait exister et être passé sous silence, intervalle laissé à la discrétion du chef d’orchestre. Mais ce soir, décide le chef d’orchestre, le passage doit être joué – il veut à tout prix se faire un nom. Le flûtiste se réveille en sursaut. Quelque chose lui est arrivé aux oreilles, quelque chose qu’il n’a jamais ressenti auparavant. Il a fini de dormir. Où suis-je maintenant, pense-t-il. Et puis il le répéta, comme un vieil homme étendu sur le sol au lieu d’être dans son lit. Où suis-je maintenant ?
J’ai lu ce très court roman (96 pages) pour le Mois de l’Europe de l’Est de Patrice, Eva et Goran. Olga Tokarczuk (née en 1962) est une écrivaine polonaise qui a obtenu en 2018 Le Prix Nobel de Littérature pour l’ensemble de son œuvre. Ses romans les plus connus sont Les Pérégrins (2007), Sur les ossements des morts (2009), Les livres de Jakob (2014), etc. Ne connaissant pas encore l’œuvre d’Olga Tokarczuk, je souhaitais m’en faire une première idée à travers un livre court, en guise d’essai « pour voir ».
Voici la présentation de l’éditeur
Un petit conte philosophique et historique
Au XVIIe siècle, William Davisson, un botaniste écossais, devenu médecin particulier du roi polonais Jean II Casimir, suit le monarque dans un long voyage entre la Lituanie et l’Ukraine. Esprit scientifique et fin observateur, il étudie les rudesses climatiques des confins polonais et les coutumes locales. Un jour, lors d’une halte, les soldats du roi capturent deux enfants. Les deux petits ont un physique inhabituel : outre leur aspect chétif, leur peau et leurs cheveux sont légèrement verts…
Mon humble avis :
C’est un conte agréable à lire, où les notions de centre et de périphérie servent de fil conducteur. Le narrateur, un homme de science à l’esprit rationnel et cultivé, est un européen que l’on pourrait qualifier de cosmopolite : originaire d’Ecosse, il a passé quelques temps à la Cour de France qui était alors considérée comme le Centre du monde civilisé : à partir de ce foyer rayonnaient les idées, les modes, les artistes, les livres les plus appréciés, les hommes les plus estimés. Ce narrateur, William Davisson, se retrouve médecin à la Cour de Pologne, un pays en proie à la guerre, et il juge ces régions avec une certaine sévérité. Il les trouve assez arriérées, sauvages, peu accueillantes, surtout en comparaison de la brillante Cour française. C’est dans ce contexte qu’il découvre les deux enfants verts, qui sont des sortes d’hybrides entre l’humain et le végétal, d’une étrangeté totale. On peut les voir comme le prototype le plus extrême de l’étranger, à la fois fantasmé et incompréhensible, totalement différent mais semblable sur bien des points, et doté de pouvoirs tantôt merveilleux tantôt effrayants, source de tous les périls. J’ai bien aimé l’atmosphère que l’autrice fait planer sur ce livre, tout semble verdâtre, humide, spongieux, et en même temps les choses sont imprégnées d’une douceur mystérieuse. Un conte qui a assurément beaucoup de charme et qui m’a donné envie de lire d’autres livres de cette écrivaine, car celui-ci est un peu trop court pour vraiment s’installer dans son univers.
Un Extrait page 53 :
Avec le temps la fillette m’accorda sa confiance et me laissa, un jour, l’examiner sans opposer la moindre résistance. Nous étions assis au soleil devant l’entrepôt. La nature avait repris vie, l’omniprésente odeur d’humidité avait disparu. Délicatement, je tournai le visage de la fillette vers le soleil et je pris dans mes mains quelques mèches de ses cheveux. Elles semblaient chaudes, laineuses. En les humant, je pus constater qu’elles sentaient la mousse. On aurait dit que sa chevelure était couverte de lichen ; vue de près, sa peau aussi était comme parsemée de petits points vert sombre, que j’avais d’abord pris pour de la crasse. Surpris au plus haut point, Opalinski et moi supposions même que si la petite se dénudait au soleil, c’était parce que, à l’instar des particules végétales dépendant de la lumière du soleil, elle aussi s’alimentait essentiellement par la peau et pouvait donc se contenter de quelques miettes de pain. (…)
Les Enfants Verts étaient parus en 2016 aux éditions de la Contre-allée, dans une traduction française de Margot Carlier.
J’ai lu ce célèbre roman de Gabriel Garcia Marquez dans le cadre du Mois de l’Amérique Latine de Goran et Ingannmic. Gabriel Garcia Marquez (1927-2014) est un écrivain colombien. Romancier, novelliste, mais également journaliste et militant politique, il est l’auteur de Cent ans de solitude (1967), de Chronique d’une mort annoncée (1981) et a reçu le Prix Nobel de Littérature en 1982. Il a écrit l’Amour aux temps du choléra en 1985. (Source : Wikipedia)
Résumé de l’intrigue initiale :
Le riche docteur Juvenal Urbino et son épouse Fermina Daza sont mariés depuis plus de cinquante ans et, comme tous les couples, ils ont traversé de multiples déconvenues, des crises et des épreuves, mais cela ne les a pas empêchés de rester ensemble. Ils sont maintenant vieux. Mais ils ignorent tous les deux que le premier prétendant de Fermina Daza, celui avec qui elle avait entretenu, bien avant son mariage, plusieurs années de correspondance passionnée, Florentino Ariza, attend qu’elle devienne veuve depuis toutes ces cinquante années car il espère encore de toutes ses forces pouvoir la conquérir et vivre avec elle la relation amoureuse dont il n’a cessé de rêver.
Mon humble Avis :
Je connaissais déjà un peu l’œuvre de Gabriel Garcia-Marquez et je n’étais pas sûre de vraiment l’apprécier. Ainsi, j’avais laissé tomber Cent ans de Solitude à la moitié, parce que je n’arrivais plus à différencier tous les personnages homonymes, après avoir adoré les premiers chapitres. Et puis Chronique d’une mort annoncée m’avait passablement ennuyée. J’étais donc prudente en commençant L’amour aux temps du choléra et je m’attendais au meilleur comme au pire. Eh bien, ce fut une excellente surprise ! J’ai été sans cesse tenue en haleine par ce roman, doté d’un souffle et d’un style remarquables, et dont les presque cinq cents pages se dévorent rapidement. Autour des trois personnages principaux, les figures secondaires foisonnent et sont toutes très pittoresques, intéressantes, et souvent pleines de caractère. La sensualité occupe une bonne part du livre, et l’auteur parle de l’érotisme avec un mélange d’élégance et de précision qui possède une grande poésie et un fort pouvoir d’évocation. L’auteur porte souvent un regard humoristique et tendre sur ses personnages, particulièrement sur Florentino Ariza qui navigue entre désespoir, libertinage, romantisme fou, et obsession, et qui mélange donc des traits de caractère très disparates voire incompatibles. Garcia Marquez semble vouloir établir une forte opposition entre amour romantique, platonique, obsessionnel et durable et l’attirance sensuelle, purement physique, passagère et sans conséquence. Mais parfois, au cours du roman, ces deux tendances se brouillent et connaissent des intersections. Le tableau qu’il fait du mariage et de son lot de mensonges, de coups bas et de mauvaise foi, m’a paru très finement observé et plein de véracité. Un roman que j’ai pris énormément de plaisir à lire, et que je conseille sans hésiter ! Sans conteste, mon livre préféré de cet auteur !
Un extrait page 359
Jusqu’alors, la grande bataille qu’il avait livrée les mains nues et perdue sans gloire avait été celle de la calvitie. Depuis l’instant où il avait vu ses premiers cheveux blancs rester accrochés au peigne, il avait compris qu’il était condamné à un enfer impossible dont ceux qui ne l’ont jamais connu ne peuvent imaginer le supplice. Sa résistance dura des années. Il n’y eut ni onguent ni pommade qu’il n’essayât, ni croyance qu’il ne crût, ni sacrifice qu’il ne supportât pour défendre chaque centimètre de son crâne de la dévastation vorace. Il apprit par cœur les instructions de l’Almanach Bristol pour l’agriculture, parce qu’il avait entendu dire que la pousse des cheveux avait un rapport direct avec les cycles des récoltes. Il abandonna son coiffeur de toujours, un chauve illustre et inconnu, pour un étranger tout juste installé qui ne coupait les cheveux que lorsque la lune entrait dans son premier quartier. (…)
Prix Nobel de Littérature en 1991, écrivaine militante engagée contre l’Apartheid et amie de Nelson Mandela, Nadine Gordimer (1923- 2014) est une des grandes figures de la littérature du 20ème siècle et de l’histoire sud-africaine, et j’étais très curieuse de découvrir son oeuvre.
C’est la raison pour laquelle j’ai lu Le Conservateur, publié initialement en 1974, qui est l’un de ses romans les plus connus et l’un de ceux dont l’autrice était la plus satisfaite.
J’ajoute que cette lecture participe au défi de Madame lit pour mars 2020 où il était question de lire un auteur nobelisé.
Disons-le tout de suite : je n’ai pas du tout aimé ce livre, qui a été pour moi une longue corvée, et dont j’étais pressée de voir la fin pour passer à autre chose.
Je me suis terriblement ennuyée, pour diverses raisons que je vais tenter de vous expliquer.
Remarquons déjà qu’il s’agit d’un roman sans intrigue : au tout début de l’histoire nous apprenons qu’un Noir est retrouvé mort dans un champ, sur la propriété de Monsieur Mehring (c’est lui le conservateur, un terme à comprendre dans le sens politique), mais ce crime initial ne donne lieu à aucune enquête, on enterre le cadavre sans cérémonie et on n’en parle quasiment plus durant trois-cents pages. Les autres rares événements qui jalonnent les chapitres, par exemple un incendie, ou encore des inondations, n’ont pas davantage de répercussions sur les uns ou les autres : on leur consacre quelques pages – d’ailleurs très belles, avec des descriptions très fortes – mais on n’en parle plus ensuite.
Je note aussi que les personnages sont un peu fades, peu caractérisés, et que j’ai eu beaucoup de mal à m’intéresser à leur existence. Le seul personnage vraiment omniprésent dans ce roman, c’est le propriétaire Blanc, le fermier qui profite du régime de l’apartheid pour s’enrichir : Mehring. Pour autant, s’il profite du système, il n’est pas présenté comme raciste ou méchant ou stupide. C’est un type banal, plutôt sympathique avec ses employés Noirs, qui n’hésite pas à prendre pour maîtresse une militante anti-apartheid, et qui voit son fils s’éloigner de lui sans que ça semble tellement le bouleverser. Les personnages Noirs ne sont pas très creusés, on ne connaît pas leurs sentiments ou leurs avis à propos de l’apartheid ou de leur vie quotidienne, car ils sont regardés du point de vue des Blancs. On voit juste qu’ils essayent de se débrouiller et de survivre comme ils peuvent, mettant à profit les absences du Propriétaire Blanc pour s’accorder plus de libertés, mais tout de même consciencieux et respectueux vis-à-vis de leur maître.
J’ai tout de même voulu lire ce roman jusqu’au bout car je pensais que les derniers chapitres m’éclaireraient sur la signification profonde de toute cette histoire. Et, effectivement, il se passe beaucoup de choses décisives dans les deux derniers chapitres. Malheureusement, il y a aussi beaucoup de confusion : l’auteur s’amuse à embrouiller les pronoms personnels, de sorte qu’on ne sait plus très bien de qui elle parle. J’ai tout de même compris le message de Nadine Gordimer sur le fait que les Noirs meurent sur la terre de leurs ancêtres, dans une longue appartenance héréditaire, alors que les Blancs enterrés en Afrique du Sud tomberont dans l’oubli, sans les honneurs de leur descendance.
J’aurais en fait souhaité un roman plus axé sur la lutte des Noirs pour leurs droits et, là, j’ai été déçue par la place très restreinte qui leur est accordée, par le regard porté sur eux;
Un livre que je ne conseille pas, malgré une très belle écriture et de magnifiques descriptions, mais le reste ne suit pas.
Voici un extrait page 327 :
La nuit, les cris des grenouilles étaient les ronflements du sommeil hébété de la terre noyée. Les pâturages et les champs étaient des marécages ; sous un chaud soleil, la surface inondée, plus étendue que ne l’avait été la surface incendiée, se réduisait chaque jour, laissant derrière elle une lisière tachée et détrempée. Sur le terrain le plus élevé les sabots du bétail parqué pataugeaient pas à pas, chaque empreinte effaçant ou détruisant les rebords renflés de l’autre, pétrissant un mélange gras de boue noire et de bouse qui exsudait un lait caillé brunâtre. Le tas de cendres qu’avaient édifié des années de feux de camp avait été emporté par l’eau et recouvrait d’une pâte grise toute la superficie de la cour du compound. Les volailles avaient des airs de plumeaux mouillés. La rangée en équerre de cabanes en parpaing se reflétait dans des mares et, lorsqu’on en frappait les murs, remplis d’humidité, ceux-ci ne rendaient aucun son. (…)
Le Conservateur de Nadine Gordimer, est disponible chez Grasset (Les Cahiers rouges) dans une traduction d’Antoinette Roubichou-Stretz et publié en 2009.
J’ai acheté ce roman de José Saramago car j’en avais vu une bonne critique sur un blog et que j’avais déjà lu avec grand plaisir L’Aveuglement du même auteur.
José Saramago (1922-2010) est un des principaux écrivains portugais du 20è siècle, Prix Nobel de Littérature en 1998. Son roman le plus célèbre est L’Aveuglement.
L’histoire :
Nous ne savons pas très bien, en lisant Tous les noms, si nous nous situons dans un univers fantastique ou familier et si cette société est totalitaire ou proche de la nôtre. Par certains éléments, nous penchons tantôt d’un côté tantôt de l’autre.
Le héros de cette histoire s’appelle Monsieur José (On notera la similitude avec l’écrivain lui-même), un célibataire d’une cinquantaine d’années. Il est employé aux écritures dans les gigantesques archives de l’Etat Civil, où on répertorie les fiches des vivants et des morts, et où l’on inscrit les renseignements essentiels d’une vie : naissance, mariage, divorce, cause du décès. L’appartement de Monsieur José est séparé de son lieu de travail par une simple porte, dont il n’a encore jamais utilisé la clé. Pour tromper la solitude et l’ennui de ses jours de congé, il collectionne des renseignements et des coupures de presse à propos des cent personnalités les plus célèbres du pays. Mais, un beau jour, il tombe par hasard sur la fiche d’Etat Civil d’une femme inconnue et décide de s’intéresser à elle. Il commence à mener une petite enquête sur la vie de cette femme, qui habite la même ville que lui. (…)
Mon avis :
Il y a une grande similitude avec l’univers de Kafka mais on sent ici davantage d’optimisme et d’espérance. L’univers bureaucratique est certes écrasant et absurde mais on peut parfois l’amadouer et lui faire entendre raison. Le personnage de Monsieur José est intéressant par son rapport avec la solitude : d’un côté il s’intéresse à des tas d’hommes et de femmes, réels et vérifiables, et cette quête constitue le sens de sa vie, mais d’un autre côté il reste presque toujours retranché dans son isolement. Il n’arrive à rencontrer les gens que sous la forme de papiers, de photos, de documents divers. Quant aux entrevues qu’il a de visu avec l’entourage de la femme inconnue, elles sont toujours entourées de mensonges, de prétextes et de faux-semblants, comme si la rencontre avec l’autre ne pouvait jamais avoir lieu sincèrement. Un moment particulièrement révélateur est la grande discussion que Monsieur José décide d’avoir avec son plafond, passage très poétique que j’ai apprécié, mais assez désespéré.
Nous nous acheminons pourtant, au fur et à mesure de la lecture, vers une ouverture de Monsieur José, qui parvient à briser sa coquille et à révéler aux autres sa vérité.
Ce roman m’a absolument conquise, par son atmosphère, son humour décalé, son écriture complexe, aux longues phrases labyrinthiques, ses réflexions philosophiques sur la vie, la mort, la société.
Extrait page 154
Le plafond donna à Monsieur José l’idée d’interrompre ses vacances et de reprendre le travail. Tu dis à ton chef que tu es suffisamment rétabli et tu lui demandes de te réserver le reste des jours pour une autre occasion, cela, si tu trouves le moyen de sortir de l’impasse où tu t’es fourré, toutes les portes sont fermées et tu n’as pas une seule piste pour te guider, Le chef trouvera bizarre qu’un fonctionnaire reprenne le travail sans y être obligé et sans y avoir été invité, Ces derniers temps tu as fait des choses bien plus bizarres, Je vivais tranquillement avant cette obsession absurde, avant de chercher une femme qui ne sait même pas que j’existe, Mais toi tu sais qu’elle existe et c’est bien là le problème (…)
J’avais envie depuis assez longtemps de découvrir l’oeuvre très controversée d’Elfriede Jelinek (écrivain autrichienne née en 1946, Prix Nobel de Littérature en 2004, auteure entre autres de La Pianiste) mais ne savais pas par quel livre commencer. Et c’est en passant devant le rayon théâtre de ma librairie préférée que je suis tombée sur celui-ci : Ombre (Eurydice parle).
Je me suis dit que c’était une excellente idée de s’intéresser au mythe d’Orphée à travers la figure d’Eurydice qui a toujours eu un rôle assez secondaire, effacé, alors qu’elle aurait certainement beaucoup à dire, elle qui est restée dans le monde des morts (Les Ombres) plutôt que de suivre Orphée, qui voulait la ramener vers le monde des vivants.
Elfriede Jelinek transforme donc un personnage de femme passive qui n’arrive pas vraiment à exister en une héroïne qui s’affirme – mais elle s’affirme en tant qu’Ombre, en tant que morte ayant rejoint le néant et ne possédant plus ni corps ni conscience ni inconscient, ce qu’elle ressent comme une libération.
Au fur et à mesure qu’on avance dans ce monologue, on sent qu’Eurydice s’éloigne de plus en plus du monde des vivants et de leurs préoccupations car son discours semble de plus en plus figé, sa pensée est moins construite et plus fermée sur elle-même, comme dans un désir de ne plus avancer du tout, de faire du sur-place dans un temps aboli.
Dans les premiers temps de ce monologue, Eurydice analyse le deuil maladif d’Orphée à grand renfort de discours psychanalytiques (que je goûte très moyennement) mais qui a cependant l’intérêt de mettre en lumière la pathologie d’Orphée qui refuse la séparation du deuil, qui refuse que la Nature soit plus forte que sa propre volonté.
Elfriede Jelinek fait d’Orphée un chanteur de rock adulé de ses groupies, des petites filles aux corps et aux cervelles vides, qui poussent des cris dès qu’elles le voient, un Orphée dépressif dont les désirs n’ont pas de limites.
J’ai aimé certains passages de cette pièce, surtout dans la première moitié, mais l’idée de l’auteure, comme quoi il vaut mieux ne pas exister et rejoindre le monde des ombres plutôt que d’être vivant, me rend assez perplexe et, jusqu’à preuve du contraire, je préfère pour ma part être en vie …
J’ai bien aimé par contre l’écriture de cette pièce, avec des jeux de mots que la traductrice a très bien su rendre en français, et une langue très rythmée, haletante, avec par moments des notations et des images d’une belle poésie.
Extrait page 23
Il devra se défaire de moi, moi pour ma part, qui n’est cependant plus à moi, toute défaite depuis longtemps, c’est pas si mal, être soudain insouciante et irresponsable, abandonner ses dépouilles et foutre le camp, sortir de soi et tout simplement s’en aller. Me laisser, me laisser enfin être, me laisser seule, ce que de toute façon je suis, il ne pouvait tout simplement accepter de me laisser à cette région qui soudain me parait si joyeuse, lumineuse, aimable, maintenant que je peux enfin y aller : il ne me laissera pas. Il ne me laissera pas en rester là. (…)
Cette pièce est parue en 2018 aux éditions de l’Arche, dans une traduction de Sophie Andrée Herr.
Esclaves de l’amour est un recueil de quatorze nouvelles écrites entre 1897 et 1905.
Knut Hamsun, né en 1859, est un écrivain norvégien, auteur du célèbre roman La Faim, et qui obtiendra le Prix Nobel de Littérature en 1920. Il prend parti pour le régime nazi pendant la deuxième guerre mondiale et meurt en 1952.
Dans plusieurs de ces nouvelles, les rapports entre hommes et femmes sont marqués par la duplicité, la trahison. Le héros masculin est amoureux d’une femme mais elle lui préfère son rival après beaucoup d’hésitations et ayant donné de faux espoirs à notre héros malheureux. Mais, dans la première nouvelle (Esclaves de l’Amour), la situation est inversée et c’est une serveuse de café qui se voit préférer une élégante dame en jaune par le beau jeune homme dont elle s’est éprise et qui profite d’elle et de son argent tout en l’appelant son « esclave ».
J’ai particulièrement aimé la nouvelle intitulée La Dame du Tivoli dont le personnage féminin est très mystérieux : on se demande si elle est mythomane, folle, ou si ses paroles reflètent un fond de vérité, et j’aime bien cette ambiguïté entretenue jusqu’à la fin, ainsi que les réactions du héros qui sont un peu à l’image des nôtres pendant cette lecture.
La mort est aussi très présente dans ces nouvelles, avec plusieurs histoires d’assassinats ou tentatives de meurtres, qui surviennent de manière très brutale, inattendue, et qui désarçonnent le lecteur. On trouve également une histoire de revenants (Un fantôme) mais elle m’a semblé plus faible que les autres, ne m’a pas convaincue.
Une autre de ces nouvelles que j’ai beaucoup aimée est Zachaeus : elle se passe aux Etats-Unis, ne comporte aucun personnage féminin et est extrêmement cruelle. Elle m’a semblé préfigurer un peu l’ambiance des romans de Steinbeck.
Mais la nouvelle qui m’a le plus étonnée est Une mouche tout à fait banale, de taille normale, qui m’a paru d’une grande modernité, oscillant entre l’ironie et la déraison, très étrange.
Si vous aimez les nouvelles, je vous conseille vivement ce livre !