Arnaud Desplechin est un cinéaste français très réputé, actif depuis le début des années 90 (son premier moyen-métrage La Vie des Morts, date de 1991), et dont j’ai déjà vu trois ou quatre films avec un certain plaisir, comme La Sentinelle (1992), Comment je me suis disputé (1996), ou encore Trois Souvenirs de ma Jeunesse (2015). Aussi je suis allée voir son dernier opus, « Frère et sœur« , avec confiance, et toute prête à passer un moment intéressant et agréable. Mais je n’ai pas été tout à fait convaincue. J’ajoute que j’ai vu ce film vers la fin mai 2022 et planifié ma chronique seulement aujourd’hui.
Brève Présentation de l’Histoire
Un frère et une sœur (Melvil Poupaud et Marion Cotillard) se détestent depuis de nombreuses années et ne se voient plus, ne veulent plus jamais se parler. Mais, un jour, leurs vieux parents sont victimes d’un grave accident de voiture et conduits à l’hôpital dans un état critique. Le moment est donc venu pour le frère et la soeur de se réconcilier. Mais les choses ne sont pas si simples et les rancunes sont tenaces.
Mon Avis
C’est un film très mélodramatique, avec beaucoup de cris, de larmes, d’effusions et surtout d’évanouissements. Les acteurs semblent à moitié fous, survoltés, et tout le temps à fleur de peau. Le genre de gens fatigants qu’on n’a pas trop envie de côtoyer dans la vraie vie et pas tellement sur un écran de cinéma non plus. On a beau savoir que le frère et la sœur sont des artistes (lui, écrivain et poète ; elle, comédienne de théâtre), donc des êtres hyper-sensibles, on s’étonne quand même de leurs attitudes outrancières et hystériques. Ainsi, Marion Cotillard semble tellement haïr son frère qu’elle tombe dans les pommes quand elle l’aperçoit par hasard dans un couloir d’hôpital – est-ce qu’il n’aurait pas été plus vraisemblable qu’elle fasse simplement demi-tour et qu’elle aille attendre son départ dehors ? Certes, ça aurait été moins spectaculaire, mais au moins on y aurait cru. Les scènes de ce genre sont assez nombreuses dans le film et on est à chaque fois étonné… et pas tellement ému. Le problème c’est aussi qu’on ne sait pas réellement pourquoi ce frère et cette sœur se haïssent à ce point. Plusieurs pistes nous sont allusivement et rapidement proposées : une jalousie artistique, un désir de domination, peut-être un inceste, on ne sait pas trop… Bien sûr, pendant tout le film nous attendons la grande scène de réconciliation, le moment crucial où les deux personnages vont accepter enfin de se rencontrer et de s’expliquer clairement (ce qui nous permettrait, à nous aussi, d’y voir plus clair !) – seulement voilà : la grande scène de réconciliation fait « pschit ! » et on n’en saura pas plus – beaucoup de bruit pour rien, mais passons ! – Marion Cotillard avoue ne pas savoir pourquoi ils se détestaient, Melvil Poupaud ne sait pas non plus, et le spectateur commence à regarder sa montre avec un certain agacement. On pourrait dire encore plein de choses sur ce film : deux ou trois références à Woody Allen, certains personnages secondaires qui ne jouent aucun rôle dans l’histoire et donc ne servent à rien (le frère, prénommé Fidèle, inexistant, écrabouillé par les deux autres), une jeune roumaine touchante et sympathique dont nous ne saurons pas la suite de l’histoire (alors qu’on aurait voulu savoir), etc. Mais la très grande beauté de Golshifteh Faharani et les moments où elle sourit suffisent à réconforter parfois le spectateur et à le faire patienter jusqu’à la fin…
J’ai vu ce film en novembre 2021, au moment de sa sortie, et j’ai planifié cette chronique plus de six mois en avance, car elle s’inscrit très bien dans le cadre de mon Printemps des Artistes 2022. Comme j’ai déjà parlé il y a quelques jours des « Illusions perdues » de Balzac, je tâcherai de parler de cette adaptation sans trop répéter ce que j’avais déjà raconté dans ce premier article.
Note technique sur le film :
Durée : 2h29 Date de sortie : 20 octobre 2021 Genre : Drame historique Scénario : Xavier Giannoli, d’après Balzac
Présentation succincte du début de l’histoire :
A Angoulême, un jeune homme, Lucien Chardon (Benjamin Voisin), imprimeur de son état mais poète à ses heures perdues, rêve de gloire littéraire. Il a la chance qu’une aristocrate de la ville, la belle Madame de Bargeton (Cécile de France) admire ses talents d’écriture et soit, en plus, sa maîtresse très aimante. Bientôt, le couple prend la fuite vers Paris, pour échapper au vieux mari jaloux (Jean-Paul Muel) de Madame de Bargeton et obtenir pour le jeune homme un triomphe à la hauteur de son talent. Tous les deux pensent, en effet, que la vie culturelle et artistique ne s’épanouit vraiment que dans la capitale. A Paris, Lucien – qui se fait appeler du nom de sa mère « de Rubempré » – essaye de faire son entrée dans le grand monde, lors d’une soirée à l’opéra, mais il passe pour ridicule à cause de son manque d’élégance et de distinction. A la suite de cette soirée, Madame de Bargeton a honte de son jeune protégé et le laisse tomber. Il se retrouve seul et sans argent, sans aucune relation ni soutien dans Paris. Il va devoir se débrouiller par lui-même car il est toujours aussi ambitieux. Heureusement, il fait la connaissance d’un jeune journaliste, Etienne Lousteau (Vincent Lacoste), qui va l’introduire dans le milieu du journalisme et de la critique culturelle. (…)
Mon avis :
J’avais un apriori très négatif sur ce film car je croyais dur comme fer que le chef d’œuvre de Balzac, un monument littéraire de huit cent pages, fourmillant de personnages et d’intrigues multiples, n’était pas transposable au cinéma. Par ailleurs, je trouve souvent que les adaptations cinématographiques de la littérature française du 19ème siècle, qui fonctionnent à grands renforts de hauts-de-forme et de crinolines, ont quelque chose de scolaire et de compassé, où les dialogues sonnent faux et les allures sont guindées. Eh bien, ce film m’a vraiment épatée ! Il m’a très heureusement surprise. Car il m’a semblé à la hauteur du roman de Balzac, tout à fait convaincant et réussi. Les lumières chatoyantes et tamisées, parmi les décors joliment reconstitués et les costumes délicatement inventifs, font de la plupart des images des tableaux très artistiques, où les visages et les corps sont bien mis en valeur et comme sculptés par le clair-obscur. La musique est également bien choisie et pas trop envahissante. Elle est plutôt caractéristique du 17ème siècle que du 19ème, mais ce choix sonore est agréable et en harmonie avec les images. Le scénario m’a semblé tirer un très bon parti du roman de Balzac, en simplifiant ce qui aurait trop rallongé l’histoire et en conservant les lignes de force du roman et les idées porteuses de sens et d’émotions. Xavier Giannoli a eu raison de concentrer son propos sur la deuxième partie du roman, car c’est sans conteste la plus somptueuse et spectaculaire et celle dont les thèmes sont les plus modernes, avec ses références claires au capitalisme corrupteur, aux journalistes, aux critiques culturels et aux éditeurs exclusivement intéressés par l’argent ou par des jeux de relations et ignorants de la beauté et de l’art. Le réalisateur profite d’ailleurs de quelques dialogues à double sens et jeux de mots bien tournés pour asséner quelques coups de griffe de-ci de-là à quelques figures de notre actualité médiatique (entre autres : les fake news, les canards enchaînés, le masque et la plume, …et même Macron se prend une petite allusion piquante). Par dessus tout, j’ai beaucoup aimé les acteurs, qui incarnent les personnages de Balzac avec le naturel, l’énergie et le panache qu’il faut. De ce point de vue, Vincent Lacoste, dans le rôle d’Etienne Lousteau, m’a paru particulièrement brillant, retors et drôle mais Benjamin Voisin réussit très bien également à montrer l’insouciance naïve de Lucien de Rubempré et la plupart des autres rôles sont tout à fait crédibles – je pense aussi à Gérard Depardieu, excellent en Dauriat, l’éditeur cupide, sans scrupules et grand amateur d’ananas. On pourrait bien sûr trouver des petits défauts de temps en temps, une voix-off qui pourrait être moins présente par exemple, ou des petits détails dans les dialogues qui sonnent un peu trop contemporains, mais ce serait vraiment chercher la petite bête et on ne peut pas s’arrêter à ça. Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé ce film !
Je voulais lire « les Illusions perdues » depuis plusieurs années mais je repoussais de saison en saison à cause de son imposant volume (près de 800 pages), heureusement mon actuel défi « Le Printemps des artistes » m’a permis de réaliser enfin mon vœu.
Ce roman a pour cadre le début des années 1820, c’est-à-dire la période de la Restauration . A ce moment-là, Napoléon a été déchu et exilé cinq ans plus tôt (1815) et la monarchie a été rétablie sur le trône avec l’aîné des frères de Louis XVI : Louis XVIII, qui règnera jusqu’à sa mort en 1824.
Voici une petite présentation des Illusions Perdues :
Ce livre se compose de trois parties : Dans la première, située à Angoulême, nous suivons la trajectoire de deux jeunes gens, très amis, et tous les deux poètes : Lucien Chardon et David Séchard. Lucien est un beau jeune homme, très talentueux et extrêmement ambitieux. Tandis que David, qui a un caractère plus prudent et plus raisonnable que son ami, s’occupe de l’imprimerie qu’il a rachetée à son père à un prix exorbitant et ne cherche pas particulièrement la gloire littéraire. Bientôt David épouse la sœur de Lucien, Eve, une jeune fille droite et honnête, et les deux amis deviennent donc beaux-frères. Pendant que David et Eve essayent de vivre tant bien que mal de l’imprimerie familiale, malgré les manigances de l’imprimerie concurrente des affreux frères Cointet et l’avarice maladive du Père Séchard (le père de David), Lucien essaye de faire connaître et apprécier ses œuvres poétiques et romanesques auprès de la riche noblesse d’Angoulême. Lucien trouve bientôt une protectrice et une muse en Madame de Bargeton, une noble dame, mariée, plus âgée que lui, qui organise une soirée littéraire en son honneur et cherche à faire reconnaître son génie parmi ses amis. Comme ils sont tous les deux amoureux l’un de l’autre (platoniquement) Lucien et Louise de Bargeton décident de fuir à Paris où, pensent-ils, leurs amours illégitimes seront mieux acceptées et, surtout, la gloire littéraire attend les jeunes provinciaux talentueux.
La deuxième partie se déroule entièrement à Paris et nous suivons l’extraordinaire ascension de Lucien Chardon, devenu Lucien de Rubempré, où il a l’occasion de fréquenter le milieu fourbe et cupide des éditeurs, celui des écrivains intègres et géniaux qui vivent dans la misère, celui des journalistes corrompus et malhonnêtes, des salles de spectacle prêtes à tout pour un succès, des jeunes actrices au grand cœur et de leurs riches protecteurs dont il faut s’accommoder, des dandys élégants de la noblesse parisienne dont les moqueries et médisances sont particulièrement perfides, etc. Mais Lucien, sans vraiment s’en douter, se sera fait une énorme quantité d’ennemis durant sa rapide ascension sociale, qui sera donc suivie d’une chute d’autant plus rude et fulgurante. Après sa ruine, Lucien n’a plus d’autre choix que de rentrer à Angoulême auprès de sa famille.
La troisième partie se passe de nouveau à Angoulême. Et nous allons suivre de plus près les affaires de David Séchard et de sa femme, Eve. Car leur imprimerie leur pose de gros soucis et David essaye de mettre au point un nouveau procédé de fabrication du papier, grâce auquel il pense faire fortune.
Mes impressions de lecture :
Ce livre nous plonge dans la France de 1820 et nous en donne une description d’un réalisme saisissant. Divers milieux sociaux et une multitude de personnages sont successivement décrits, avec le regard neuf et assez innocent de Lucien de Rubempré, qui nous en montre les rouages, la psychologie, les habitudes comme si nous y faisions un reportage pris sur le vif. Tout est décrit avec précision, depuis les vêtements des personnages jusqu’aux meubles des diverses habitations, les quartiers de Paris et leur architecture, aucun détail matériel n’est laissé au hasard et nous sentons que, pour Balzac, ces questions vestimentaires et mobilières sont très importantes car elles révèlent les valeurs morales, les défauts et qualités des personnes, et leur degré de réussite ou d’appartenance à telle ou telle catégorie. Les différents aspects de la société et de ses règles du jeu sont bien mis en valeur : pour réussir socialement et matériellement il ne faut avoir aucune morale, aucun idéal, tous les coups sont permis pour accumuler toujours plus d’argent, et les hommes les plus malhonnêtes peuvent s’appuyer sur le droit et la justice pour consolider leur pouvoir. Le milieu de l’édition est décrit comme essentiellement mercantile, peu soucieux de qualité littéraire, ne lisant pas les ouvrages qu’on leur confie et ne misant que sur des auteurs déjà très connus et dont le succès est assuré (Balzac parle bien ici des années 1820 mais on pourrait s’y tromper !) Le milieu journalistique est présenté comme complètement pourri, sans la moindre déontologie, faisant chanter tout le monde et se vendant au plus offrant, mais constituant le meilleur marchepied vers la fortune, à condition de ne pas se faire trop d’ennemis et d’être protégé politiquement. Lucien est un personnage dont Balzac souligne souvent l’ambiguïté : il pense bien mais agit mal ; il est à la fois intelligent et idiot. Il a le cœur bon mais il est doué pour écrire des critiques féroces et, avec une grande naïveté, ne se doute pas que ses articles assassins peuvent lui attirer beaucoup de haines. Bref, il ne calcule jamais les conséquences de ses actes et semble tout à fait irresponsable et dépourvu de psychologie. J’ajoute que ce roman avait été initialement publié en feuilleton dans des journaux, c’est-à-dire que Balzac l’a conçu pour tenir les lecteurs en haleine en leur proposant de fréquents rebondissements : on ne s’ennuie donc pas un seul instant. Un roman vraiment passionnant, d’une actualité étonnante – un chef d’œuvre palpitant !
Un Extrait page 158 :
(…) Pendant sa lecture, Lucien fut en proie à l’une de ces souffrances infernales qui ne peuvent être parfaitement comprises que par d’éminents artistes, ou par ceux que l’enthousiasme et une haute intelligence mettent à leur niveau. Pour être traduite par la voix, comme pour être saisie, la poésie exige une sainte attention. Il doit se faire entre le lecteur et l’auditoire une alliance intime, sans laquelle les électriques communications des sentiments n’ont plus lieu. Cette cohésion des âmes manque-t-elle, le poète se trouve alors comme un ange essayant de chanter un hymne céleste au milieu des ricanements de l’enfer. Or, dans la sphère où se développent leurs facultés, les hommes d’intelligence possèdent la vue circumspective du colimaçon, le flair du chien et l’oreille de la taupe ; ils voient, ils sentent, ils entendent tout autour d’eux. Le musicien et le poète se savent aussi promptement admirés ou incompris, qu’une plante se sèche ou se ravive dans une atmosphère amie ou ennemie. Les murmures des hommes, qui n’étaient venus là que pour leurs femmes, et qui se parlaient de leurs affaires, retentissaient à l’oreille de Lucien par les lois de cette acoustique particulière ; de même qu’il voyait les hiatus sympathiques de quelques mâchoires violemment entrebâillées, et dont les dents le narguaient. (…)
Ce livre a été lu dans le cadre de mon « Printemps des artistes » puisque le héros est un poète et écrivain et qu’il est beaucoup question du monde des arts (théâtre, édition, journalisme, critique littéraire, etc.)
J’ai lu ce court roman d’Arthur Schnitzler dans le cadre de mon défi « Le Printemps des artistes » et l’idée de cette lecture précise m’a été donnée par le blog de Patrice et Eva dont je vous propose de lire la très intéressante chronique de novembre 2020 : https://etsionbouquinait.com/2020/11/08/arthur-schnitzler-gloire-tardive/
Arthur Schnitzler(1862-1931) est un écrivain et médecin psychiatre autrichien, l’un des principaux auteurs de langue allemande de la première moitié du 20è siècle, il a été notamment influencé par Freud et la psychanalyse. Sa « Nouvelle rêvée » a par exemple inspiré à Kubrick son film « Eyes wide shut ». Le roman « Gloire tardive », qui est précisément une œuvre tardive de l’auteur, a été éditée de façon posthume. Sa première traduction française date de 2016 pour les éditions Albin Michel.
Présentation de l’histoire :
Monsieur Edouard Saxberger est un petit fonctionnaire vieillissant et il mène une vie tout à fait banale et tranquille. Jusqu’au jour où il a la surprise de recevoir la visite d’un jeune poète inconnu, nommé Meier, qui se déclare comme un fervent admirateur de l’oeuvre poétique du vieil homme. Saxberger se souvient d’avoir effectivement publié un recueil de poèmes, trente ans plus tôt, intitulé Les Promenades, qui était passé tout à fait inaperçu à l’époque et que tout le monde avait apparemment oublié. Mais Meier le détrompe : lui-même et le groupe de jeunes littérateurs auquel il appartient, le reconnaissent comme un maître, et se réclament de son influence. Meier lui confie des vers qu’il a écrits et lui demande son avis. Mais pour Monsieur Saxberger la poésie semble bien loin. (…)
Mon humble avis :
Je savais que Schnitzler avait été très influencé par la psychanalyse et je pensais trouver des traces de théorie freudienne dans « Gloire tardive ». Mais cette idée a été vite contredite par ma lecture. Le livre est, au contraire, assez simple et transparent et l’auteur ne cherche pas à nous faire entrer dans les méandres inconscients ou les complexes refoulés de ce vieux monsieur et ancien poète. Cependant, le livre ne manque pas de réflexions psychologiques intéressantes sur la jeunesse et la vieillesse, et illustre en quelque sorte le proverbe bien connu « On ne peut pas être et avoir été ». Il y a une certaine ironie distanciée de l’auteur par rapport à ses personnages. Surtout vis-à-vis du monde littéraire, des petits cénacles de jeunes poètes qui s’auto-glorifient alors qu’ils n’ont encore rien produit et qui considèrent tous les autres littérateurs comme des « sans-talent » méprisables. Un très joli livre, qui plaira tout particulièrement aux poètes et amateurs de poésie !
Un extrait page 106-107
Saxberger écouta avec délectation. Jamais jusqu’alors il n’avait connu le doux transport qui s’empara de lui en entendant ses vers lus à haute voix. A peine s’avisa-t-il que c’était mademoiselle Gasteiner qui lisait – à peine eût-il pu dire si les vers lui plaisaient, mais lorsqu’elle cessa de lire, que la chambre fut soudain redevenue silencieuse et qu’ils se retrouvèrent assis très près l’un de l’autre, il vit de nouveau la veste jaune qui le dérangeait et il fut alors particulièrement irrité par le sourire très énigmatique qui jouait sur les lèvres de la demoiselle et qui n’avait aucun rapport avec ce qui venait d’être lu. Il dut même détourner les yeux, en quoi elle vit une réaction déclenchée par l’émotion.(…)
Ce texte de Marie Desmaretz est extrait du livre Les lettres-poèmes de Marie publié en 2017 aux éditions du Petit Pavé, dans la collection Le Semainier dirigée par Jean Hourlier. Ces lettres-poèmes adressées par Marie Desmaretz à ses amis poètes sont de beaux témoignages d’amitié et de poésie mêlées.
Comme l’écrit Jean Chatard en préface : « Chaque texte est un élan, élan d’une artiste pour ses nombreux amis. Chaque dédicataire de lettre-poème se trouve concerné au plus haut point. Au niveau de l’écrit et à celui, plus rare, de l’amitié. En quelques lignes, Marie pénètre dans l’intime de chacun et y séjourne durablement. (…) »
**
page 17
Lettre-poème à Jean Chatard
A l’ami Jean, ces confidences tristes
parce que je n’en peux plus de l’hiver
Mai dans son soleil à quatre sous
Les muguets à la peine fripés de vent
Une mouette égarée (son cri) quand j’espère l’hirondelle (ses coups de ciseaux retaillant un ciel plus juste) Des mots qui fanent au bord des prières
Un arbre – comme un chien – seul dans la fenêtre
Mon bel hier est tombé comme un sac et me voilà maintenant si petite – Jean –
si petite sous la lampe
Avec l’herbier des chagrins ouvert sur la table
avec de grands morceaux d’hiver qui vieillissent
mes épaules et du vide tout autour du vide
qui parle une langue pauvre
Me voilà maintenant si petite et tellement
ignorante du geste qui sauve
Je ne sais plus comment on fait de l’été
comment on fait de l’intense
J’ai oublié l’heure des fruits l’heure des femmes
la lumière
Dans mes fonds de mémoire je cherche souvent
ce que j’ai perdu
Parfois je retrouve un bout d’avril à peau d’iris
un poème où j’ai demeuré
quelques paillettes d’insouciance…
Mais très vite le ciel tourne court se dérobe
m’abandonne
Le poète Eric Dubois (né à Paris en 1966) vient de faire paraître aux éditions Unicité ce récit autobiographique qui aborde le sujet de la schizophrénie à travers un témoignage très sincère et lucide. Nous découvrons le contexte dans lequel la maladie s’est déclenchée, mais le poète se garde des explications et des analyses faciles. On remarque qu’il mène alors la vie tout à fait typique d’un jeune trentenaire des années 1990, avec ses amitiés, son contexte professionnel compliqué, ses relations amoureuses, l’usage de cannabis. Il explique et décrit l’apparition de cette maladie qui le conduit à l’hôpital, et les conséquences qu’elle a aujourd’hui encore sur son existence. Les effets secondaires des médicaments, le fait de vivre avec un handicap invisible, la difficulté de trouver du travail, les psychothérapies qui l’apaisent, les nombreuses amitiés poétiques qu’il a nouées.
Eric Dubois ne nous présente la schizophrénie ni comme une catastrophe ni comme un dédoublement de la personnalité (une idée fausse pourtant bien ancrée dans la population) mais comme une maladie psychique parmi d’autres, avec laquelle il faut apprendre à vivre.
Un livre qui intéressera ceux qui s’interrogent sur cette maladie, ou sur la psychiatrie en général, ou qui aiment lire des parcours de vie, des témoignages pleins d’humanité et de vérité.
Voici un extrait :
Et il y avait ces lumières, criardes, violentes, ces couleurs vives comme sous l’effet d’une drogue puissante. Épuisé et ravi, je me laissais aller à des rêves faits en plein jour, parfois, j’avais l’impression de voyager dans le temps, et observais chaque époque au coin d’une rue, mes ancêtres traverser les passages pour piétons, et aussi des petits êtres qui apparaissaient et disparaissaient en un quart de seconde. Les odeurs nauséabondes me poursuivaient également, là, où elles n’avaient pas lieu d’être. Et enfin les voix, Élie, Élie, Élie qu’elles disaient, pas méprisantes, pas ordurières, juste entêtantes, insectes de l’aube et du crépuscule, à certaines heures, mais toujours de courte durée.
J’ai eu envie de lire ce livre parce qu’on en a beaucoup parlé dans les média et sur le Net, qu’il est très mis en avant dans les rayons des librairies, qu’il a reçu le Prix Médicis, mais surtout parce qu’il évoque la vie de Racine et que cela me semblait un thème riche et prometteur.
Par ailleurs, c’était l’occasion de découvrir l’univers d’une romancière que je ne connaissais pas, ce qui est toujours intéressant !
Le début de l’histoire :
A notre époque, une jeune femme prénommée Bérénice est quittée par un moderne Titus pour son épouse, Roma, qu’il n’aime plus mais avec laquelle il a fondé une famille.
Bérénice souffre atrocement de cette séparation et ne parvient à trouver un véritable réconfort qu’en lisant et relisant les tragédies de Racine, dont il lui arrive même d’apprendre certaines tirades par cœur.
Bérénice se demande comment Racine – à la fois homme, janséniste et courtisan – a pu aussi bien comprendre le cœur féminin et l’amour, et elle décide d’enquêter sur ce que furent sa vie et son caractère.
Il s’ensuit une biographie de Racine, de sa naissance à sa mort, qui sera coupée deux fois par des retours vers l’époque contemporaine, avec la réapparition de notre Bérénice initiale.
Mon avis :
J’ai été très surprise que ce « roman » soit en réalité une biographie de Racine, de forme assez classique puisque chronologique, mais j’ai trouvé cela plaisant.
Nathalie Azoulai sait rendre le personnage de Racine très vivant et très crédible, avec toutes ses contradictions, son ambition démesurée, son admiration sans faille pour le roi, ses jalousies féroces vis à vis de ses rivaux (à commencer par Corneille, mais aussi, dans une moindre mesure, envers Molière), et elle le présente comme sans cesse tiraillé entre ses devoirs envers le roi et sa fidélité envers Port-Royal et les jansénistes, que le roi déteste et combat.
Racine montre plusieurs caractères au cours de sa vie : il est d’abord un enfant imaginatif qui essaye de se plier à une éducation rigide et austère, puis un jeune homme timide, puis un poète désireux de plaire et d’arriver à une situation, puis un poète reconnu et adulé, puis un historiographe scrupuleux, avant de retourner à la foi et à la spiritualité.
Du point de vue du style, c’est un livre bien écrit, mais il m’a semblé que la fin était un peu moins soignée que le début, très brillant.
J’ai bien aimé ce livre, mais je trouve qu’il ne s’agit pas d’un véritable roman – la part d’imaginaire étant très réduite.
Quatrième de couverture : Conte de la première lune est l’histoire d’un jeune poète romantique qui, pour soigner sa mélancolie, entreprend au siècle dernier un voyage au sud de Kyôto, une région connue pour la beauté de ses paysages et les pratiques magiques des anachorètes bouddhistes qui y vivent.
Mordu par un serpent venimeux, il est recueilli par un moine dans un ermitage au cœur des montagnes et rencontre en songe une femme dont il s’éprend. Mais où commence le rêve et où s’achève la réalité ? Telle est l’une des questions que suscite ce conte philosophique et poétique, où la lune se lève sur la beauté inoubliable d’une femme se lavant dans ses rayons, où l’intensité de l’épanouissement des fleurs et des sentiments coïncide avec l’instant de la mort, tandis qu’un papillon, délicat et magnifique, guide le voyageur dans le labyrinthe des illusions jusqu’au dénouement.
Mon avis : La quatrième de couverture que je viens de recopier est tout à fait fidèle à ce que j’ai pu ressentir en lisant ce beau livre. Il s’agit d’un conte, c’est-à-dire que les forces magiques et irrationnelles y occupent une place tout à fait centrale, et contribuent à créer dans l’esprit du lecteur tout un jeu de ramifications par rapport aux sens cachés de cette histoire, sur lesquels on continue de s’interroger même après avoir terminé le livre. Ce conte, en effet, ne répond pas à toutes les questions qu’il soulève : en particulier, la question des multiples passages du rêve à la réalité et de la réalité au rêve restent assez énigmatiques, produisant de nombreux échos et rêveries dans l’esprit du lecteur.
J’ai été très étonnée quand j’ai appris que ce livre datait des années 2000, car dans mon esprit il appartenait plutôt au 19è siècle (tant par son écriture que par son atmosphère), et j’avoue qu’il m’a même fait penser par moments à un roman de Barbey d’Aurevilly dont je ne suis pas sûre de me rappeler du titre, mais qui pourrait bien être L’Ensorcelée. Sauf que, naturellement, dans Conte de la première lune, le contexte extrême-oriental est présent à chaque page, et les superstitions japonaises, comme le mauvais œil, interviennent à plusieurs reprises.
Le héros de l’histoire, Masaki, est lui-même très représentatif du 19è siècle : poète romantique, neurasthénique, mélancolique, … l’auteur nous dit que ce personnage est d’une très grande beauté physique mais que sa beauté serait plutôt démoniaque, et, en effet, ce poète semble attiré autant par la beauté et la pureté que par la souffrance et la mort, dans la plus pure tradition romantique.
Un livre très poétique et envoûtant, que je conseille vivement !
Extrait page 111-112 :
» On parle de rêve, de réalité, comme de deux choses totalement différentes. Pourtant, il me semble qu’il s’agit d’une seule et même illusion. Cette nuit-là, avant mon départ, ce n’est pas en rêve, mais bien dans le monde réel que cette femme m’est apparue.
Je l’ai vue, en vérité, de mes yeux de chair. Et pourtant, quand j’y repense maintenant, cela aussi me semble n’avoir été qu’une illusion éphémère.
Cette femme était belle comme une apparition. Une telle beauté ne saurait être de ce monde. Et pourtant, quand j’y songe, il se peut aussi que cette vision que j’ai contemplée avec ravissement n’ait été autre chose en réalité, ainsi que l’affirmait le révérend abbé, que la silhouette d’une vieille lépreuse. (…) »