J’ai trouvé ces deux poèmes dans le très beau recueil Sous le signe des oiseaux, publié en 2021 par les éditions L’Ail des ours, avec des illustrations de Renaud Allirand. Comme son titre l’indique, il y est question d’oiseaux mais aussi de musiques classiques, depuis Prokoviev jusqu’à Peter Sculthorpe, (que j’ai découvert ainsi), et quelques autres grands musiciens européens.
Note sur la poète
Albertine Benedetto vit et travaille à Hyères dans le Var depuis 1992. Retour à la source méditerranéenne, après des détours parisiens et au-delà. L’Italie et la Grèce à l’horizon, elle exerce son métier de professeure de lettres, vit sa vie de femme, écrit dans l’entre-deux.
Page 34
Si calme le piano s’ouvre à la vie nocturne de bois rêvés où se perd un rossignol
une plainte lancine au cœur des arpèges qui s’affolent une dissonance plombée d’un accord lourd
mais la nuit mélodieuse suit son chant étoilé le pas lent des amants s’y glisse en rêvant
Le Rossignol éperdu, Reynaldo Hahn
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Ah les maudits marteaux staccato staccato sur la corde sensible ad libitum trilles folles notes en piqué cœur à vif becqueté par le rappel des soirs qui saignent métalliques mordants gruppetti appoggiatures écorchures au bois des forêts paisibles
Ce roman m’a été prêté par une amie experte en littérature et en culture japonaises et qui connaît assez bien mes goûts pour me conseiller de manière toujours très judicieuse, pour mon plus grand plaisir, aussi bien pour les nouvelles parutions contemporaines que pour des livres plus classiques. Cette lecture rentre dans le cadre de mon Mois Thématique sur les Femmes japonaises de février 2022.
Note pratique sur le livre :
Genre : roman Editeur : Christian Bourgois Date de parution au Japon : 2013 Année de parution en France : 2021 Traduction française de Sylvain Chupin Nombre de Pages : 186.
Note sur l’écrivaine :
Née en 1983 à Hiroshima, Hiroko Oyamada est l’autrice de plusieurs romans, dont « Ana » (Le Trou) en 2013 qui lui a valu en 2014, au Japon, le prestigieux prix Akutagawa (équivalent du Prix Goncourt pour la France). L’Usine est son premier roman publié en français. (Sources : éditeur et Wikipédia).
Quatrième de Couverture :
L’Usine, un gigantesque complexe industriel de la taille d’une ville, s’étend à perte de vue. C’est là qu’une femme et deux hommes, sans liens apparents, vont désormais travailler à des postes pour le moins curieux. L’un d’entre eux est chargé d’étudier des mousses pour végétaliser les toits. Un autre corrige des écrits de toutes sortes dont l’usage reste mystérieux. La dernière, elle, est préposée à la déchiqueteuse de documents. Très vite, la monotonie et l’absence de sens les saisit, mais lorsqu’il faut gagner sa vie, on est prêt à accepter beaucoup de choses… Même si cela implique de voir ce lieu de travail pénétrer chaque strate de son existence ?
Dans une ambiance kafkaïenne où la réalité perd peu à peu de ses contours, et alors que d’étranges animaux commencent à rôder dans les rues, les trois narrateurs se confrontent de plus en plus à l’emprise de l’Usine. Hiroko Oyamada livre un roman sur l’aliénation au travail où les apparences sont souvent trompeuses.
Mon avis :
Chacun, au cours de sa vie, a plus ou moins l’occasion de se frotter au monde du travail, que ce soit par le biais de petits boulots sans intérêt et purement alimentaires ou par des professions plus intéressantes sur le plan personnel et financier, mais qui peuvent ressembler à des placards dorés ou à des postes (trop) tranquilles, sans grandes responsabilités et dont nul ne se préoccupe. Dans ces différents cas de figure, on peut se demander à quoi on sert, si les tâches que l’on doit effectuer ont le moindre sens, pour soi-même ou pour la société. La signification de l’existence semble se diluer peu à peu dans des automatismes répétitifs, ennuyeux et vides. C’est tout du moins à ces réflexions que ce roman d’Hiroko Oyamada semble vouloir nous conduire, en nous interrogeant sur cet absurde monde contemporain et son culte fanatique du travail. Chaque aspect du problème est tour à tour évoqué : la crainte du chômage qui pousse à accepter n’importe quel emploi, l’inadéquation entre les diplômes obtenus et les emplois que l’on trouve ensuite, le désir quasi insoluble de décrocher un poste en CDI et à temps plein, les relations superficielles et stupides entre collègues, la difficulté de prendre ses congés face à des chefs récalcitrants ou négligents, etc. Vous penserez peut-être, à lire ce descriptif, que ces sujets sont plutôt rébarbatifs et peu attrayants pour un roman ? Mais, en fait, ce livre reste tout à fait divertissant et stimulant par sa forte ambiance fantastique, et par la présence de nombreux éléments étranges et déroutants, comme l’aspect tentaculaire et labyrinthique de l’usine ou son invasion progressive par toutes sortes d’animaux inquiétants, comme les « lézards des lave-linges » ou les cormorans noirs qui ne se reproduisent pas mais dont le nombre augmente tout de même, mystérieusement. Il m’a semblé que ce roman se situait dans une veine littéraire japonaise très contemporaine, proche de Murakami et de Yôko Ogawa, par l’entremêlement de réalités quotidiennes très finement observées et de fantasmagories oniriques ou cauchemardesques qui transcendent ce réalisme. J’étais donc heureuse de découvrir cette écrivaine et ce roman.
Un Extrait page 122 :
(…) Pendant des années j’ai travaillé dur, j’ai fait des heures supplémentaires tous les jours, et à présent que j’ai ce travail dénué d’intérêt mais sans grandes responsabilités, qui se termine à heure fixe, j’aspire à me reposer. Je suis certain que si Kasumi ou les autres employées me voyaient somnoler, elles m’en parleraient. Or elles n’en font rien, ce qui signifie probablement qu’elles ne s’en sont pas aperçues. Je fais de mon mieux et j’estime que je n’ai pas à me reprocher de ne pas m’investir plus qu’il est nécessaire. Quand je somnole, que le sommeil m’envahit sans que je m’en rende compte, je perds complètement le fil de ce que je suis en train de lire. Je relis les mêmes lignes à plusieurs reprises, mais je suis incapable de me concentrer, je tombe alors dans l’angoisse de devoir corriger quelque chose que je ne comprends pas, et c’est à ce moment-là que je me réveille en sursaut. A vrai dire, même quand je ne dors pas, il arrive souvent que les textes soient incompréhensibles. Je ne sais plus si je trouve le texte bizarre parce que je me suis endormi, ou bien s’il l’est d’emblée. Pourquoi est-ce que je fais ce genre de choses alors que je commence à m’assoupir ? Ces comptes rendus d’entreprises, livres pour enfants, manuels d’utilisation, communications internes, recettes de cuisine, articles scientifiques ou d’histoire… qui donc écrit tous ces textes que je corrige chaque jour ? Et à l’intention de qui ? Si tous sont des documents de l’Usine, alors qu’est-ce que c’est que cette usine ? Qu’est-ce qu’on y fabrique ? Je croyais le savoir avant, mais depuis que j’y travaille, il me semble que je n’en ai plus la moindre idée. (…)
J’ai découvert ce livre dans une célèbre librairie du Quartier Latin – Gibert pour être précis – et ces courts poèmes d’inspiration japonaise (dénommés « tanka », une forme de poésie très ancienne dont a découlé la forme du haïku) m’ont tout de suite tapé dans l’œil. Ce recueil s’intitule « Pétales de vie » et il a été publié chez Pippa en septembre 2019, avec des illustrations (encres noires sur papier blanc) de Nathalie Houdebine et une préface de Danièle Duteil.
Note sur la poète :
Cookie Allez, née en 1947 à Paris, a publié sept romans aux éditions Buchet-Chastel et une anthologie des expressions inventées en famille chez Points Seuil, collection Le Goût des mots. « Pétales de vie » est son premier recueil de tanka.
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Dans l’entre-feuille dialoguent les oiseaux secrets de plumes comme j’aimerais saisir des trilles de confidences
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Devant le mendiant elle donne du pain aux pigeons les passants passent mon billet l’indiffère il rumine sa rancœur
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Du maquillage pour déguiser la tristesse clown blanc yeux rouges ainsi en certains matins dans l’impitoyable miroir
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Chat dans la gorge personne à qui parler soigner ses fleurs elles aiment être dorlotées je suis sûre qu’elles ronronnent
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La peau est papier toute la vie s’y inscrit pleins et déliés et quand le cœur est proche lecture vaut caresse
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La vie d’un coucou coûte celle d’un passereau obscure algèbre qui fait partie des mystères auxquels l’homme devrait penser
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L’hiver de la vie des flocons de souvenirs images furtives je veux tous les attraper avant de les voir fondre
La revue poétique trimestrielle WAM (« revue d’Arépoézi » précise malicieusement le sous-titre), dirigée par le poète Robert Roman, a fait paraître en septembre 2021 son troisième numéro. Comme j’aime bien cette revue et que je trouve ses choix de textes et d’illustrations toujours brillants et stimulants pour l’esprit, je vous propose la lecture de quelques poèmes choisis, que j’ai pu trouver tantôt drôles tantôt émouvants et toujours très agréables à découvrir.
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poème de saison (mais laquelle ?)
l’automne est la saison préférée … pour ceux qui préfèrent l’automne comme saison préférée … moi je préfère l’automne comme saison … il y en a quatre … je les ai appris par coeur … automne numéro un automne numéro deux automne numéro trois automne numéro quatre
c’est un peu comme les trois mousquetaires
AL ZIMMER
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IL Y A ENCORE DE L’AMOUR
ce n’est pas parce que personne ne refait le lit que le lit cesse d’être lit ce n’est pas parce que personne ne se prend dans les bras que les bras tombent et quand bien même les bras ballants sont les bras ce n’est pas parce qu’on ne s’adresse plus au coeur que le cœur ne bat plus il y a encore de l’amour ce n’est pas parce que les moutons sous le lit ne bêlent pas qu’ils n’y sont pas ce n’est pas parce que les bras brassent de l’air pour chercher quelque chose à étreindre que tu n’y es pas qu’ils ne prennent pas le téléphone pour te demander où tu es la route pour te rejoindre qu’ils ne sont pas tout autour de qui tu es ce n’est pas que je me laisse aller c’est que je laisse vivre tout ce qui porte l’amour en lui les traces sur le miroir de la salle de bain refont le portrait du monde ça me va j’ai fait couler les larmes pour le petit déjeuner elles sont encore chaudes j’ai du sucre roux du miel de montagne ou du comté si tu préfères ça me va si tu viens (…)
MYRIAM OH
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Interprétation
Au loin, un corbeau croasse. Il doit avoir eu vent – qui souffle en ce moment, cependant que la fumée de ma clope se mêle au ciel, à mon brouillard pensif – il doit avoir eu vent qu’aujourd’hui est un jour particulier pour moi : celui qui a vu ma naissance, il y a de ça déjà une bonne jonchée de joies et peines entassées dans mon crâne. Et aujourd’hui qui est donc pour moi à marquer au fer roux d’un nouvel automne, il me plait stupidement de croire que cet oiseau, à son insu, vienne me célébrer et témoigner, par son cri fugitif, de ma présence au monde
encore.
MORGAN RIET
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Vous pouvez vous abonner à la revue WAM pour seulement 38 euros par an. Contact de la revue par mail : wam.arepoezi@gmail.com ou bien par la poste : Robert Roman 7 rue des Gardénias 31100 TOULOUSE