L’année de l’éveil de Charles Juliet

annee_eveil_julietJ’ai lu L’année de l’éveil de Charles Juliet car j’avais adoré Lambeaux, un autre de ses récits autobiographiques, et bien que les thématiques de L’année de l’éveil me soient a priori assez peu attractives : dans ce livre, en effet, qui se passe vers la fin des années 40 ou début des années 50, le narrateur adolescent est enfant de troupe dans un lycée militaire du Sud de la France, se passionne pour la boxe, et admire au-delà du raisonnable son chef de section, un homme qui l’invite parfois chez lui le dimanche, et dont le narrateur a l’occasion de rencontrer la séduisante jeune femme.
Pendant le premier quart du livre, j’ai assez peu accroché au personnage du narrateur, dont le goût pour la discipline, la naïveté, la manière de tomber en admiration devant n’importe quel militaire pourvu qu’il soit un peu brutal ou fort en muscles, m’a passablement agacée. Malgré tout, il y avait une sensibilité dans l’écriture, un regard pur et honnête, qui donnaient envie de poursuivre la lecture.
Et, effectivement, le caractère du narrateur s’affine et s’affirme devant nos yeux, il devient moins naïf et plus lucide, son caractère devenu moins malléable se rapproche d’un tempérament d’adulte, et il ose à plusieurs reprises s’opposer à la discipline arbitraire et injuste qui lui est imposée.
J’ai trouvé que l’évolution du caractère du narrateur, et les débats intérieurs de sa conscience, étaient très intelligemment décrits et suggérés, et que l’attention et l’empathie du lecteur s’amplifiaient au fur et à mesure de cette évolution, rendant le récit vraiment prenant et touchant.
Certains passages sont particulièrement durs, surtout liés aux sévices infligés par ses condisciples ou par certains de ses chefs, et on sent un certain stoïcisme du narrateur, qui met un point d’honneur à ne pas manifester sa douleur et à ne pas se plaindre.
Au final, j’ai bien aimé ce récit, mais je crois que j’avais légèrement préféré Lambeaux.

Trois poèmes d’Oscar Ruiz Huidobro

Oscar Huiz Huidobro est un poète qui m’a contactée par l’intermédiaire de ce blog, et dont j’ai apprécié le livre qu’il m’a envoyé. Ce recueil, intitulé Claire-Voie, a obtenu le Prix de poésie Stephen Liégeard 2012 et vous pouvez vous le procurer auprès de l’éditeur, qui est joignable à l’adresse : lesneides.or-h@laposte.net

Voici quelques poèmes extraits de ce recueil :

La saisie de quelques pensées
prises à vif
suffirait à prouver une propension
toujours très exactement calculable
de leur contenant à se débarrasser d’elles
soit par les voies processus trajectoires
circuits canaux et sorties excrémentiels
soit par l’exercice d’une force attractive
solidaire ou répulsive contraire ou adjuvante
et toujours très exactement indéterminée indéterminable
provoquant une pulvérisation
sanglante des dites pensées
sur parterre solide
et désespérant
fenêtre sans issue
donnant sur
cinq étages de vide.

**

Baiser

Sillon velouté
Rose de douceur,
Brunâtre noirceur
D’un temple adoré
Qu’effleure ma lèvre,
Au contour sensible
Où, fleur de genièvre,
La baie visible
Surveille alentour
Ce gouffre d’amour.

**

Mouche

L’index droit sur la gâchette
Les bombes dans le chargeur,
Je vise là-bas la tête
D’un type qui n’a pas peur.
Presque aussi gros qu’une mouche
Tout au fond de mon viseur,
Je ferme l’œil et la bouche
Et tire au top du guetteur.
Le coup parti, la loupiote
S’allume : « Raté mon pote,
Ajuste mieux en hauteur ;
Tu ne l’as eu qu’en plein cœur ! »

Le Désert des Tartares, de Dino Buzzati

Buzzati_TartaresL’histoire : Un homme, nommé Giovanni Drogo et âgé d’une petite vingtaine d’années, reçoit sa première affectation à la sortie de son académie militaire : il doit se rendre au fort Bastiani, un bâtiment austère et retiré, situé près de la frontière nord du pays, avec une vue sur le « Désert des Tartares » : un paysage désolé de montagnes et de plateaux par lequel pourraient bien, un jour ou l’autre, surgir des troupes ennemies. Drogo, d’abord rebuté par ce fort, pense demander sa mutation au bout de quatre mois, mais il s’englue peu à peu dans des habitudes, crée des liens de camaraderies avec les autres militaires, et le temps finit par passer sans même qu’il s’en rende compte. La vie s’écoule, le fort attend en vain une attaque ennemie, Drogo vieillit peu à peu, entre attente et occupations routinières.

Mon avis : Avant de commencer ce roman, j’avais peur de m’ennuyer car je croyais qu’il n’y avait pas d’histoire et qu’il ne se passait rien du début à la fin. J’ai été heureusement surprise : même si le héros passe sa vie à attendre quelque chose qui n’arrive pas, il se passe en revanche des tas de choses que le héros n’attend pas et on ne s’ennuie pas une seule seconde, bien au contraire.
Il m’a semblé que ce roman avait une portée philosophique et psychologique, dans le sens où beaucoup d’êtres humains (sinon la plupart) sont figés dans des habitudes et des attentes interminables, et finissent par en oublier de vivre vraiment. C’est ainsi que, durant tout le roman, Drogo songe avec regret à la vie agréable qu’il pourrait mener s’il se faisait muter dans la ville où vivent sa mère et ses amis, mais ce regret devient lui aussi une sorte d’habitude et il ne demande jamais sa mutation, ou la demandera quand il sera trop tard.
C’est aussi un livre sur le temps qui passe : lorsqu’il est jeune, Drogo a l’impression d’avoir une éternité devant lui et de pouvoir se permettre de gâcher quelques années, et puis les années gâchées s’accumulent, le temps passe de plus en plus vite, et Drogo s’aperçoit soudain que sa vie est maintenant derrière lui et qu’il n’en a rien fait.

Un livre magnifique, à lire absolument !