Le Cas Sneijder de Jean-Paul Dubois

Pour commencer l’été, je voulais parler d’un livre un peu léger et amusant et puis, ayant lu Le cas Sneijder de Jean-Paul Dubois, j’ai pensé qu’il pouvait correspondre à cette description, bien qu’il soit certainement plus profond qu’il n’y paraît.
Jean-Paul Dubois avait éveillé ma curiosité au moment de sa réception du Prix Goncourt en 2019, et j’avais noté son nom pour une future lecture – ce qui est donc chose faite et s’est avéré une expérience pas désagréable.

Pour que vous vous fassiez une idée de l’histoire, en voici un début très succinct :

Paul Sneijder est un homme de soixante ans, qui a été victime d’un terrible accident d’ascenseur au cours duquel sa fille adorée, âgée d’une trentaine d’années, a perdu la vie en même temps que les trois autres personnes présentes à ce moment-là avec eux dans la cabine. Après une période de coma, Paul Sneijder est profondément traumatisé et se sent d’autant plus seul que ni sa femme si ses deux fils jumeaux ne veulent le comprendre ou l’épauler, bien au contraire. Comme Paul Sneijder fait parfois des crises de panique à la suite de son accident, il décide de se consacrer à une activité de plein air, avec peu de contacts humains, et se fait embaucher dans une entreprise de dog-walking, c’est-à-dire qu’il est payé pour promener des chiens. Parallèlement, Paul Sneijder accumule la documentation technique et architecturale au sujet des ascenseurs et des accidents qui ont pu s’y produire dans le passé aux quatre coins du monde. (…)

Mon avis :

Bien que ce livre parle de sujets fort sérieux, pour ne pas dire dramatiques – le deuil, la folie, la solitude, l’incompréhension et la cruauté entre les êtres, les règles de vie absurdes dans nos sociétés mercantiles et techniciennes à outrance – je ne me suis pratiquement jamais sentie triste à sa lecture et j’avais au contraire le sourire aux lèvres et l’esprit léger, à cause de la manière humoristique et ironique dont tout cela est tourné et présenté. Par contre, la fin est un beau moment d’émotion, à laquelle je m’attendais un peu car le lecteur sent planer la menace autour du pauvre Paul Sneijder depuis les tout premiers chapitres déjà. Je me suis demandé très souvent au cours de cette lecture pourquoi cet homme ne divorçait pas, tant sa femme est obtuse, acariâtre, contrariante, stupide et n’a aucun point commun avec son mari. Il est vrai que Paul Sneijder dit plusieurs fois qu’il est lâche, ce qui pourrait expliquer une certaine passivité, mais dans son cas il finit par payer cette lâcheté extrêmement cher, au point que le courage lui aurait valu beaucoup moins de soucis et de désagréments.
J’ai aimé dans ce roman la place accordée aux chiens, car ils sont fortement individualisés, avec des caractères et des attitudes bien définis pour chacun, et leur personnalité joue un certain rôle dans le déroulement de l’histoire et la psychologie du héros, ce qui m’a semblé une idée jolie et originale, une réconciliation de l’homme avec la nature.
Au début, j’ai également aimé les considérations insolites et les méditations sur les ascenseurs, auxquels Jean-Paul Dubois consacre des pages mémorables – je ne me souviens pas d’avoir déjà lu des belles pages sur ce thème dans d’autres romans – mais au bout de plusieurs paragraphes sur ce thème j’ai été un peu lasse et pas tout à fait convaincue par le propos.
Je ne dévoile pas la fin mais ce dénouement amène beaucoup de tristesse et donne un petit pincement au cœur.
Un livre agréable à lire, bien construit, et à l’écriture plaisante.
On passe un moment de lecture sympathique.

Le cas Sneijder était paru en 2011 aux éditions de l’Olivier, il a reçu le prix Alexandre-Vialatte en 2012, et je l’ai lu en livre de poche, chez Points, (234 pages).

Un extrait page 135 :

L’évocation de cette dermatose réveilla d’un coup la fibre hygiéniste et prophylactique de ma femme. D’instinct, elle s’écarta légèrement de moi, de la même façon que si elle redoutait une contagion. Examinant mes poignets à un bon mètre de distance, elle fit une moue dont je ne savais si elle traduisait de l’inquiétude ou du dégoût, et elle dit :
– Il faut absolument que tu voies quelqu’un.
Tout au long de notre vie commune, à chaque fois que nous avions été confrontés à un souci, qu’il fût de santé ou d’un tout autre ordre, la première chose qu’Anna m’avait toujours dite, c’était : « Il faut que tu voies quelqu’un ». Il y avait quelque chose de magique dans cette adjuration. Invoquer ce « quelqu’un » qui, quelque part au-delà de nous, possédait la clé de l’énigme revenait, pour elle, à énoncer un acte de foi. (…)

Demain les chiens, de Clifford Simak


Je ne crois pas avoir déjà chroniqué de livre de science-fiction sur ce blog, et il est vrai que je n’accroche généralement pas à ce type d’imaginaire, qui me parait souvent laborieux et factice.
Mais j’ai pris grand plaisir à lire ce classique de la SF américaine, qui déploie un monde imaginaire foisonnant et cohérent, où les animaux prennent leur revanche sur la civilisation humaine, vouée à péricliter par son égoïsme et son manque d’altruisme. C’est la civilisation canine qui prend la relève en se révélant plus pacifique, plus humaniste, et mieux adaptée à la complexité du monde.
Ce sont les robots, fabriqués par les hommes pour les servir, qui vont seconder les chiens en leur servant de mains.
Ce roman se présente sous la forme de huit contes. Avant chacun de ces contes, des notes explicatives à l’intention des lecteurs canins mettent en garde contre tel ou tel aspect peu crédible, ou cherchent à expliquer tel ou tel détail que leur civilisation a rejeté depuis longtemps. Ainsi, l’existence des hommes leur semble fort peu avérée, et la civilisation humaine développée dans des villes leur parait incompréhensible. Dans le premier conte, les seuls personnages sont des humains. Dans le dernier conte, il n’y a plus d’humains. Entre les deux, sept mille ans se sont écoulés et les six autres contes retracent les grandes étapes de cette histoire.
Ici aucune violence, les hommes ne disparaissent pas de la surface de la Terre par l’effet d’une guerre ou d’une épidémie, mais ils choisissent pour la plupart de devenir autre chose que des humains, sur une autre planète, dans un cadre plus harmonieux, pour trouver la plénitude. Ceux qui restent malgré tout sur Terre finissent par abandonner la partie en se vouant à un sommeil sans fin, par désœuvrement, par ennui.
Mutants, fourmis, Martiens, horlas, … enrichissent également ce roman de leurs particularités psychologiques ou philosophiques.
J’ai lu que ces contes avaient été écrits par Simak à partir de la fin de la deuxième guerre mondiale et jusqu’au début des années 50, comme une réaction à la barbarie humaine, et on sent en effet une émotion et une sensibilité particulières.
Un roman intelligent, un imaginaire insolite et captivant.