Des Poèmes de Valérie Canat de Chizy extraits de « Créer l’Ouvert »

Couverture chez les éditions de l’Atlantique

Je connaissais déjà quelques recueils récents de la poète Valérie Canat de Chizy et j’ai eu envie de découvrir ce livre « Créer l’Ouvert » qui avait été publié en 2011 par les éditions de l’Atlantique, dans la collection Phoibos, avec un très beau dessin à l’encre du peintre Tanguy Dohollau.

Ce recueil m’a permis de percevoir plus nettement l’évolution de son écriture, avec des aspects qui demeurent présents (la concision, la précision des mots et la beauté des images) et d’autres éléments qui me semblent plus accentués dans les poèmes récents (la clarté, peut-être un côté plus explicite et plus direct dans l’expression de soi).
Dans « Créer l’Ouvert » j’ai apprécié certaines ellipses et allusions voilées, on a souvent envie de lire entre les lignes, et la fin de chaque poème semble nous ouvrir vers une rêverie ou mettre notre imagination en mouvement. J’ai apprécié aussi la manière dont certains poèmes résonnent les uns avec les autres et se font discrètement écho.

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Je recopie ici le texte de la Quatrième de Couverture écrit par Silvaine Arabo.

Valérie Canat de Chizy est en recherche de la lumière qu’elle regarde jouer sur le monde dans les choses en apparence les plus banales : les images d’eau, de liquidité, sont fréquentes qui donnent à celle-ci justement, par le reflet, l’accueil et la densité qu’elle réclame. Recherche intime de la grâce, de la transparence, dont le monde extérieur fournit les analogies.
Dans ces poèmes courts Valérie Canat nous entraîne avec elle vers une méditation dans laquelle oiseaux, ciel, eau, poissons redeviennent à nos yeux les acteurs qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être. Nous sommes ici dans le dépouillement et l’essentiel d’une parole.

Silvaine Arabo

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Page 1

Mots d’une autre rivière
Porteurs de rameaux
Les branches éclosent
A même la peau.

Femme-arbre
Aux pousses multiples
Lèvres écloses sur
La fleur.

– De la poitrine
Jaillissent les tiges
Douloureuses -.

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Page 13

Ecrire n’est rien
Sinon l’approche
D’un secret
Depuis toujours
Secret comme
Un enfant nouveau-né
Dans son linge blanc.

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Page 23

La perception
Se dilate
Dans l’étirement
Du chat
L’attente
De l’œil
Plissé
De velours.

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Page 34

Dans l’embrasure
De la fenêtre
Le cri
Des martinets
Lacère
Le ciel.

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Je ne me souviens de rien, de Diane-Sara Bouzgarrou

affiche du film

Dans le cadre de mon Mois Thématique sur la maladie psychique, j’ai regardé ce moyen-métrage (59 minutes) de la réalisatrice Diane-Sara Bouzgarrou, dont j’avais entendu parler par mon ami le poète Denis Hamel, qui l’avait vu lors de sa sortie en salles en 2017 et qui l’avait beaucoup aimé.

Quatrième de Couverture du DVD (Présentation de la réalisatrice):

Décembre 2010 : la révolution éclate en Tunisie, le pays de mon père. Les cris de fureur du peuple tunisien rejoignent d’une étrange manière l’agitation intérieure qui grandit en moi depuis quelques semaines. Traversant au même moment un épisode maniaco-dépressif d’une grande intensité, je suis diagnostiquée bipolaire et entre en clinique psychiatrique. Au sortir de cette longue dépression, je n’ai presque aucun souvenir de ce moment de vie. Me restent des dizaines d’heures de rushes, des centaines de photos, deux carnets remplis d’écrits, de collages, de dessins, précieuses traces palliant à mon amnésie. Plus de quatre ans après, ces quelques mois de ma vie restent encore inaccessibles à ma mémoire. Le projet de ce film : la reconstituer et tenter de montrer la réalité de cette maladie.

Mon humble avis :

A partir de matériaux disparates, la réalisatrice se prend elle-même comme sujet d’étude et d’examen, et on voit à travers les diverses séquences comment elle perd peu à peu ses repères, avec des discours qui deviennent de plus en plus étranges, un peu outranciers, puis déconnectés de la réalité lorsqu’elle se retrouve en clinique psychiatrique. On voit aussi les réactions très calmes et raisonnables de ses proches et de sa famille, qui semblent à la fois inquiets pour elle mais prêts à la soutenir et, semble-t-il, toujours très présents pour la rassurer et l’écouter, comme son compagnon et ses parents. Au cours de sa maladie, la réalisatrice-héroïne semble traverser des épisodes de grande excitation euphorique, où elle trouve tout « magnifique » (les phases maniaques) mais elle connaît aussi l’abattement, l’angoisse et les pensées suicidaires dans ses phases de dépression. Les images sont par instants saccadées, heurtées, bousculées, et partent tantôt vers le plafond tantôt vers le sol comme pour nous montrer le déséquilibre intérieur de la réalisatrice et les chamboulements de son esprit. Indépendamment de l’image, de nombreux textes s’affichent sur fond noir, et je les ai beaucoup appréciés car ils donnent des points de vue éclairants et une prise de recul sur ce qui nous est montré, comme si les mots écrits constituaient une sorte de salut, quelque chose à quoi se raccrocher en dernier recours. La présence de collages, de dessins, de photos au sein du film complète l’autoportrait psychologique de la réalisatrice et multiplie les facettes et les points de vue.
Un très bon film, qui montre la maladie psychique dans sa réalité et dans son vécu quotidien, sans chercher à présenter la folie comme une chose horrifique ou repoussante, et sans non plus la présenter comme anodine ou banale, et donc, selon moi, avec un regard très juste et très humain !

Le Cas Sneijder de Jean-Paul Dubois

Pour commencer l’été, je voulais parler d’un livre un peu léger et amusant et puis, ayant lu Le cas Sneijder de Jean-Paul Dubois, j’ai pensé qu’il pouvait correspondre à cette description, bien qu’il soit certainement plus profond qu’il n’y paraît.
Jean-Paul Dubois avait éveillé ma curiosité au moment de sa réception du Prix Goncourt en 2019, et j’avais noté son nom pour une future lecture – ce qui est donc chose faite et s’est avéré une expérience pas désagréable.

Pour que vous vous fassiez une idée de l’histoire, en voici un début très succinct :

Paul Sneijder est un homme de soixante ans, qui a été victime d’un terrible accident d’ascenseur au cours duquel sa fille adorée, âgée d’une trentaine d’années, a perdu la vie en même temps que les trois autres personnes présentes à ce moment-là avec eux dans la cabine. Après une période de coma, Paul Sneijder est profondément traumatisé et se sent d’autant plus seul que ni sa femme si ses deux fils jumeaux ne veulent le comprendre ou l’épauler, bien au contraire. Comme Paul Sneijder fait parfois des crises de panique à la suite de son accident, il décide de se consacrer à une activité de plein air, avec peu de contacts humains, et se fait embaucher dans une entreprise de dog-walking, c’est-à-dire qu’il est payé pour promener des chiens. Parallèlement, Paul Sneijder accumule la documentation technique et architecturale au sujet des ascenseurs et des accidents qui ont pu s’y produire dans le passé aux quatre coins du monde. (…)

Mon avis :

Bien que ce livre parle de sujets fort sérieux, pour ne pas dire dramatiques – le deuil, la folie, la solitude, l’incompréhension et la cruauté entre les êtres, les règles de vie absurdes dans nos sociétés mercantiles et techniciennes à outrance – je ne me suis pratiquement jamais sentie triste à sa lecture et j’avais au contraire le sourire aux lèvres et l’esprit léger, à cause de la manière humoristique et ironique dont tout cela est tourné et présenté. Par contre, la fin est un beau moment d’émotion, à laquelle je m’attendais un peu car le lecteur sent planer la menace autour du pauvre Paul Sneijder depuis les tout premiers chapitres déjà. Je me suis demandé très souvent au cours de cette lecture pourquoi cet homme ne divorçait pas, tant sa femme est obtuse, acariâtre, contrariante, stupide et n’a aucun point commun avec son mari. Il est vrai que Paul Sneijder dit plusieurs fois qu’il est lâche, ce qui pourrait expliquer une certaine passivité, mais dans son cas il finit par payer cette lâcheté extrêmement cher, au point que le courage lui aurait valu beaucoup moins de soucis et de désagréments.
J’ai aimé dans ce roman la place accordée aux chiens, car ils sont fortement individualisés, avec des caractères et des attitudes bien définis pour chacun, et leur personnalité joue un certain rôle dans le déroulement de l’histoire et la psychologie du héros, ce qui m’a semblé une idée jolie et originale, une réconciliation de l’homme avec la nature.
Au début, j’ai également aimé les considérations insolites et les méditations sur les ascenseurs, auxquels Jean-Paul Dubois consacre des pages mémorables – je ne me souviens pas d’avoir déjà lu des belles pages sur ce thème dans d’autres romans – mais au bout de plusieurs paragraphes sur ce thème j’ai été un peu lasse et pas tout à fait convaincue par le propos.
Je ne dévoile pas la fin mais ce dénouement amène beaucoup de tristesse et donne un petit pincement au cœur.
Un livre agréable à lire, bien construit, et à l’écriture plaisante.
On passe un moment de lecture sympathique.

Le cas Sneijder était paru en 2011 aux éditions de l’Olivier, il a reçu le prix Alexandre-Vialatte en 2012, et je l’ai lu en livre de poche, chez Points, (234 pages).

Un extrait page 135 :

L’évocation de cette dermatose réveilla d’un coup la fibre hygiéniste et prophylactique de ma femme. D’instinct, elle s’écarta légèrement de moi, de la même façon que si elle redoutait une contagion. Examinant mes poignets à un bon mètre de distance, elle fit une moue dont je ne savais si elle traduisait de l’inquiétude ou du dégoût, et elle dit :
– Il faut absolument que tu voies quelqu’un.
Tout au long de notre vie commune, à chaque fois que nous avions été confrontés à un souci, qu’il fût de santé ou d’un tout autre ordre, la première chose qu’Anna m’avait toujours dite, c’était : « Il faut que tu voies quelqu’un ». Il y avait quelque chose de magique dans cette adjuration. Invoquer ce « quelqu’un » qui, quelque part au-delà de nous, possédait la clé de l’énigme revenait, pour elle, à énoncer un acte de foi. (…)

Habemus Papam de Nanni Moretti

affiche du film

Habemus Papam est un film franco-italien de Nanni Moretti, sorti en 2011.
Le titre signifie « Nous avons un pape » et c’est la formule rituelle prononcée au balcon du Vatican à chaque nouvelle élection d’un pape, pour annoncer son nom.

Le début de l’histoire :

Les cardinaux du monde entier se réunissent au Vatican après la mort du pape. Ils doivent en effet élire parmi eux un nouveau souverain pontife et trois ou quatre d’entre eux sont pressentis comme favoris. Ils doivent restés enfermés dans les salles du Conclave jusqu’à la fin de l’élection. Autour d’eux, l’effervescence est à son comble : pèlerins, journalistes, croyants et touristes se pressent autour de Saint-Pierre de Rome pour assister à l’événement. Après plusieurs tours de scrutin, c’est finalement le cardinal Melville, qui ne faisait pas partie des favoris, qui remporte l’élection. Dans un premier temps, il accepte la charge qui lui est confiée mais, au moment de se présenter au balcon pour bénir la foule, il est pris d’une attaque de panique, et prend la fuite dans les couloirs. Les cardinaux restent calmes : le nouveau pape a sans doute besoin de se recueillir dans ses appartements avant d’affronter ses obligations, mais d’ici quelques heures il sera prêt à endosser son rôle. Mais les choses ne se passent pas aussi bien qu’ils le prévoient et le nouveau pape semble pour le moins perdu devant les responsabilités qui l’appellent. (…)

Mon Avis :

Je suis assez mitigée sur ce film, que je trouve brillant sur certains points mais qui ne m’a pas totalement emportée.
Déjà, l’originalité du sujet mérite d’être relevée : montrer les doutes d’un pape nouvellement élu (doutes sur lui-même et non sur sa foi, comme nous l’apprenons assez vite) a quelque chose de très touchant et cette fuite éperdue d’un homme âgé qui n’arrive pas à s’identifier à son personnage est vraiment très émouvante.
La question, précisément, de savoir jouer son rôle ou de ne pas être assez bon acteur se pose plusieurs fois durant le film, avec l’irruption un peu incongrue d’une troupe de théâtre qui joue la Mouette de Tchékhov. Je n’ai pas trouvé que cette idée était tellement judicieuse, elle ne rajoute rien à l’histoire, et une fois qu’on en a compris la signification elle revient de manière un peu artificielle.
Le thème, plus intéressant me semble-t-il, de la fragilité psychologique du pape est finement posé, par des entrevues psychanalytiques où quelques petits éléments nous sont suggérés, et aussi par l’attitude toute en délicatesse de Michel Piccoli dont le regard et le sourire suffisent à révéler la bonté et l’impuissance.
Je comprends que Nanni Moretti ait eu envie d’introduire des notes humoristiques dans son film pour alléger un sujet austère : ainsi les longues scènes de matchs de volley entre les cardinaux ou les scènes où le garde suisse chargé d’occuper les appartements papaux pour faire croire qu’il y a quelqu’un, se laisse aller avec négligence. Ceci dit, ces notes d’humour ne m’ont pas semblé tellement en accord avec le reste du film, et cette volonté de slalomer entre drame et comédie m’a un peu semée en cours de route.
Un film malgré tout intéressant, avec d’excellents acteurs et des dialogues intelligents.
La fin est également très belle et inattendue.

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Jardins Publics de Patricia Castex-Menier

Ce recueil de Patricia Castex Menier est paru en 2011 aux éditions Aspect.
Comme son titre l’indique, ce livre évoque les jardins publics parisiens, avec un regard tantôt amusé, tantôt méditatif, et nous offre tout une palette d’émotions et d’images comme de petits croquis pris sur le vif d’une promenade à travers une allée.
J’ai vraiment beaucoup aimé ce livre, par ses thèmes, son ton et son atmosphère, qui ne sont pas si éloignés de ceux du haïku, avec une attention portée aux saisons, une concision et un sens de l’observation très aigus.
Voici quelques poèmes que j’ai choisis successivement dans chacune des quatre parties (du Printemps à l’Hiver) :

***

Si
l’on regarde le bourgeon,

puis
la fleur, puis le fruit,

puis
le bourgeon, puis la fleur,

puis
le fruit,

on
ne craint plus de mourir.

Mais
cela prend du temps.

***

Quoi
qu’on en dise,

on
se promène toujours un peu

sur
les chemins du langage :

roses
encore plus roses

dans
leurs noms de divas,

fleurettes
drapées dans leur latin,

et
colvert en col blanc.

***

Cueillir
le son du ricochet,

puis
rêver

avec
les ronds dans l’eau

à
l’expansion de l’univers.

***

Mais
oui,

rien
ne fait plus de bruit
que la neige :

les
enfants,
les pauvres et les poètes

en
ont déjà tant parlé !

***