Des Poèmes de Jean Marc Sourdillon sur la poésie

Couverture chez Gallimard

Ces poèmes sont extraits de « L’unique réponse » parue chez Gallimard en 2020.

Présentation du livre par l’éditeur (trouvée sur le site de Gallimard)

La vie est une seule et grande question, qui attend de nous plus et mieux que des réponses ponctuelles, Elle attend cette unique réponse que toutes les autres nous cachent en nous leurrant. C’est sur et autour de ce thème que l’auteur a constitué cet ensemble de poèmes en vers ou versets et en prose de haute tenue. La beauté calme et ce qui la fonde, l’intensité de l’instant, les premières fois, la rencontre et l’approche de l’autre, la naissance chaque jour à la vie, la mort, voilà quelques-unes des facettes du thème. On découvre ici un poète qui a du métier et de la grâce, une délicatesse de touche, une élégance et une maîtrise de la langue, bref, de quoi donner au lecteur le sentiment de glisser comme une eau fraîche entre les rives de l’été.

Note biographique sur le poète

Jean Marc Sourdillon est un écrivain né en 1961. Il enseigne les lettres en khâgne à Saint-Germain-en-Laye après avoir enseigné à l’Institut français de Madrid et à l’hôpital Raymond Poincaré de Garches. Jean-Marc Sourdillon a également traduit María Zambrano et édité les Œuvres de Philippe Jaccottet dans la Pléiade. En 2009, il reçoit le prix du Premier recueil de poèmes avec Les tourterelles, publié aux éditions La dame d’Onze heures. (Source : site du Printemps des Poètes).

**

(Page 58)

Vers les passerelles

Qu’est-ce qu’un vers ? Une passerelle. L’une de ces légères passerelles que le pas efface à mesure qu’il les révèle. Et la poésie ? Une suite de lancers de passerelles ou de pieds d’appel. Il s’agit de prendre élan, une succession d’élans pour s’aider à bondir et à atteindre l’autre rive, à la deviner en s’élançant vers elle, à fonder son bond dans l’air en s’appuyant sur ce qu’on devine d’elle, avant de s’apercevoir, au milieu d’un bond, que, non, finalement ce n’était pas la rive qu’on visait mais inconsciemment l’estuaire, que c’est pour l’estuaire qu’on écrivait, qu’on construisait des vers comme des passerelles pour courir dessus, le plus vite qu’on pouvait et s’élancer au bout, tout au bout, là où ils se brisent et où on ne peut plus atteindre aucune rive même vue en rêve, même anticipée.

L’autre rive est prise dans le brouillard ; l’élan est en nous mais il est sous-jacent. Il faut dégager les deux, l’élan, la rive, d’un même mouvement, voilà à quoi servent les passerelles – à traverser.

Qu’est-ce qu’un poème ? Une suite de passerelles formant plongeoir. Des passerelles alignées, parallèles, entrecroisées ou superposées, et ne menant nulle part à proprement parler. Tant de passerelles, tant de possibles. Faire jouer les passerelles entre elles.

On écrit, ça chante dans sa tête, mais on est déjà plus loin, là-bas dans l’espace en avant de soi où l’on sait que quelque chose ou quelqu’un nous attend. On ne sait pas quoi, on ne sait pas qui, mais on le pressent. Quelqu’un, quelque chose de plus haut se penche sur soi. Ou, de plus bas, tout en bas, ouvre les bras.

On passe à la ligne avant la fin pour arriver plus vite au bout, à l’instant du saut.

On est dans l’imminence. Là est notre temps, là notre régime. L’halètement est notre respiration. Un halètement lent. On se prépare à l’apnée finale. On se dispose à être reçu ou accueilli même si on sait que, peut-être, il n’y aura rien.

(…)

*

(Page 89)

L’Elan

Tout poème est précédé d’un élan parti de tellement loin qu’on ne sait plus ni d’où ni de quand il vient,
mais qui a traversé tant de pays et connu tant de visages qu’il en garde l’empreinte en lui comme le parfum des corps et l’éclat des espaces dans le vent qui les a frôlés.
C’est tout cela que l’on voit nous aussi quand on écrit monter à la surface entre les mots du poème
comme l’élan sur le visage plein d’équilibre et de calme du danseur sur le lac, qui lentement au-dessus de la glace
tourne et se déploie avec des gestes d’arbre.

**

Publicité
Article précédent
Poster un commentaire

13 Commentaires

  1. Une suite de lancers de passerelles ou de pieds d’appel. De la poésie mais aussi de la littérature…Des mots si profonds qu’on ne peut les accueillir tous ensemble sans s’arrêter pour y penser. Merci bcp

    Réponse
    • Bonjour Matatoune ! Tu exprimes très bien ce qu’on peut ressentir à la lecture de cette poésie. La notion d’élan et de saut dans l’inconnu est très pertinente, je pense. Merci ! Bon dimanche 🙂

      Réponse
  2. Une prise poétique et dynamique qui inspire projection, flexion et réflexion. A méditer sans doute.
    Merci Marie-Anne en tout cas pour ce partage.

    Réponse
    • Bonjour Prince Écran Noir ! J’ai beaucoup aimé cette métaphore de la passerelle, je l’ai trouvée très parlante et d’une belle originalité. Merci de ton commentaire et très bon dimanche à toi 🙂

      Réponse
  3. J’avoue que parmi toutes tes chroniques abordant la poésie et les poètes, je suis particulièrement impressionné par la découverte de Jean Marc Sourdillon (Quel parcours). Je le note précieusement. C’est une poésie particulièrement riche dans tous les questionnements qu’elle aborde magnifiquement. C’est très maitrisé et dans un même élan profondément sensible. On est touché ou pas par un poète. C’est une question d’être touché au cœur, comme renversé par l’émotion ressentie. Là c’est le cas avec Jean Marc Sourdillon. Un immense merci pour toutes les découvertes de poètes, notamment celui-ci. Passe un excellent weekend Marie-Anne 🙂

    Réponse
    • Merci Frédéric de ta lecture et d’avoir apprécié ces poèmes de Jean Marc Sourdillon ! Je trouve également que ces poèmes sont brillants et d’une grande maîtrise. Bon dimanche à toi!

      Réponse
  4. Merci Marie-Anne pour cette découverte.
    Bon dimanche,
    Bises.

    Réponse
  5. L’unique réponse?
    Des passerelles et l’élan.
    Merci de cette découverte!

    Réponse
  6. Une grande expérience de la page noire et de la page blanche sans doute…j’admire qu’il puisse si joliment l’exprimer mais moi il me fait un peu peur. J’aime savoir où je vais tomber ou, à défaut, je retiens l’élan…

    Réponse
    • Bonjour Pat, il me semble que l’inspiration peut nous emmener à des tas d’imprévus et de mondes insoupçonnés, au fil de l’écriture. On ne prévoit pas forcément où l’imagination va nous emmener. Tout du moins c’est ainsi que je le vois. Mais je comprends qu’on puisse davantage planifier ses effets et anticiper ses points d’appui. Merci à toi et très bonne journée 🙂

      Réponse
  7. Intéressant, je vais peut-être aller voir.

    Réponse

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :