J’ai lu ce recueil de nouvelles parce que je suis très admirative du style de Julien Gracq, dont j’ai apprécié Les Carnets du Grand Chemin, par exemple, ou encore Un beau ténébreux.
Si j’ai retrouvé avec un plaisir toujours intact la superbe écriture de Gracq – poétique, sensuelle, riche d’évocations multiples – j’ai cependant eu beaucoup de mal à avancer dans la longue nouvelle centrale qui donne son titre au recueil entier : une nouvelle qui se résume à une interminable errance en voiture à travers la presqu’île de Guérande, et qui est le prétexte à enchaîner des descriptions de paysages pendant des centaines de pages, sans autre but que de nous dépeindre le champ visuel de l’unique personnage central, dont le sort nous devient très vite indifférent car nous comprenons qu’il ne se passera rien, que le paysage qui défile ne nous mènera nulle part.
J’ai par contre beaucoup mieux aimé les deux nouvelles qui encadrent La Presqu’île : La Route et Le roi Cophetua. Ces deux nouvelles, également riches en descriptions, et dans lesquelles il ne se passe pas grand-chose non plus, réussissent cependant à créer un climat d’étrangeté, une tension mystérieuse, grâce à des présences féminines qui soulèvent de multiples questions et Gracq sait admirablement instiller l’incertitude dans l’esprit du lecteur, sans qu’on puisse pour autant parler de suspense car le sentiment éprouvé est plus subtil.
Il m’a semblé qu’à travers ces trois nouvelles, Gracq cherchait à rompre avec toute péripétie ou anecdote : il crée des atmosphères, des tableaux qui se succèdent, avec une grande attention portée aux décors et aux lieux, et une place extrêmement réduite accordée aux personnages ou à leur psychologie.
On ne peut pas nier que Gracq soit un virtuose de la description : capable de peindre la moindre nuance de couleur, les odeurs, les textures, les phénomènes climatiques … mais il me manque, en lisant La Presqu’île, une histoire, des personnages auxquels m’intéresser.
Un livre à réserver aux esthètes !
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Extrait page 104 (dans la 2è nouvelle, La Presqu’île)
(…) La route longea un instant la coulée d’une prairie spongieuse d’où pointaient quatre ou cinq peupliers, grelottant de toutes leurs feuilles, époumonés dans l’haleine du large : il reconnut à la moue qui se forma sur ses lèvres le petit mouvement de dépit que lui donnaient toujours ces trembles dépaysés, cette enclave molle des prairies de la Loire transplantée au pays des pins ; ici, dans son royaume au bord de la mer, on touchait à une autre terre ; tout aurait dû être différent. Ces approches de la plage masquées jusqu’au dernier moment lui faisaient battre le cœur plus vite : plus vivantes, plus éveillées presque que la mer – comme un théâtre où on entrerait que par les coulisses. (…)
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Extrait page 220 (dans la troisième nouvelle, Le roi Cophetua)
Je dînai très silencieusement. Dès que j’étais seul, je n’entendais plus que le léger bruit fêlé, trémulant, des figurines de verre qui tressautaient sur le plateau de la crédence. De temps en temps, un craquement de meuble semblait s’éveiller d’un sommeil de musée, comme si depuis trois ans la maison n’eût pas été rouverte. Je n’avais pas faim. Je ressentais toujours cette constriction de la gorge qui ne m’avait pas quitté depuis que j’étais entré dans la maison. Mais l’inquiétude, les mauvais pressentiments, n’y avaient plus autant de part. Mon regard se relevait malgré moi sur le miroir bas qui me faisait face – je guettais le moment où derrière moi, dans le rectangle de la porte ouverte, la femme de nouveau s’encadrerait.(…)
barbarasoleil
/ 18 septembre 2019Ma préférence va très nettement à La Route en ce qui me concerne…
Bonne journée Marie-Anne
laboucheaoreille
/ 18 septembre 2019Oui, La Route m’a plu également ! Merci Barbara Bonne journée !
loisobleu
/ 18 septembre 2019Gracq c’est un voyage autour et dans l’écriture, on entre et s’attable aux mots, jusqu’à plein de la couleur, délié du banal vulgaire…
N-L
laboucheaoreille
/ 18 septembre 2019Un style très raffiné, oui ! Merci Niala Loisobleu !
toutloperaoupresque655890715
/ 18 septembre 2019J’ai le souvenir chez Gracq d’une langue infiniment belle, en particulier dans « Le Rivage des Syrtes ».
Belle journée à toi, Marie-Anne.
laboucheaoreille
/ 18 septembre 2019J’essaierai de lire « Le rivage des Syrtes », il semble faire l’unanimité ! Bonne journée Jean-Louis !
toutloperaoupresque655890715
/ 18 septembre 2019Tu ne devrais pas le regretter !
laboucheaoreille
/ 18 septembre 2019Je viens de le noter comme prochain achat 🙂 Bonne journée Jean-Louis !
Goran
/ 18 septembre 2019Merci pour ce compte-rendu, je l’ai lu mais je ne m’en souviens plus beaucoup…
laboucheaoreille
/ 18 septembre 2019Oui, le souvenir s’efface assez vite … d’autres livres de Gracq sont plus marquants. Merci Goran 🙂
Strum
/ 18 septembre 2019J’aime beaucoup Julien Gracq (le souvenir du Rivage des Syrtes, notamment, m’accompagnera toujours – un de mes livres préférés), mais je n’ai pas lu ces trois nouvelles. Ce que tu dis de La Route et Le roi Cophetua résume bien l’attrait exercé par le style de Gracq.
laboucheaoreille
/ 18 septembre 2019Une magnifique écriture, en effet ! Très fascinante. Je n’ai pas lu Le rivage des Syrtes mais je tacherai de remédier à cette lacune.
Strum
/ 18 septembre 2019Ah oui, c’est son plus beau livre et un grand roman.
Aldor
/ 18 septembre 2019Je partage ton sentiment. Je n’ai pas lu Presqu’île mais j’ai lu le château d’Argol et le Beau ténébreux et n’ai jamais retrouvé la magie du Rivage des Syrtes qui, outre la magnifique écriture, avait une histoire qui, a mon sens, manque aux autres.
laboucheaoreille
/ 18 septembre 2019Tu me donnes très envie de découvrir « le rivage des Syrtes » ! Je tâcherai de le lire. Merci Aldor !
walachniewicz
/ 18 septembre 2019Wow! Quelle écriture ! Il va falloir que je le lise !
Merci pour la découverte ;o)
laboucheaoreille
/ 18 septembre 2019Contente de vous l’avoir fait découvrir ! Bonne journée !
iotop
/ 18 septembre 2019Bon jour,
J’ai entendu « parler » mais jamais lu du Julien Gracq … faut croire que « je grippe » sur les classiques en général …
Max-Louis
laboucheaoreille
/ 23 septembre 2019Pourtant les classiques ont été des modernes en leur temps 🙂 Et inversement …
Frog
/ 19 septembre 2019Ah, voilà un recueil que je veux lire depuis longtemps, surtout pour le roi Cophetua ! Merci de partager votre lecture Marie-Anne. 🙂
laboucheaoreille
/ 23 septembre 2019Je suis sûre que son écriture et l’atmosphère de ses nouvelles vous plairont énormément … Merci Quyên 🙂