Requiem, d’Anna Akhmatova


J’avais déjà publié il y a quelques années des poèmes extraits de Requiem d’Anna Akhmatova mais je recommence aujourd’hui car ce livre est magnifique, l’un des meilleurs recueils de poésie que je connaisse, que l’on peut ouvrir à n’importe quelle page avec un égal bonheur, et dont je trouve la traduction très réussie (elle est de Jean-Louis Backès dans la collection Poésie/Gallimard).

Anna Akhmatova (1889 près d’Odessa – 1966 près de Moscou) née Anna Gorenko – est une poète russe, représentante du courant acméiste et amie d’Ossip Mandelstam, de Tsvetaieva, mais aussi des futuristes. Sous le régime stalinien elle est interdite de publication et subit l’arrestation de plusieurs de ses proches, dont son fils, et de ses amis. A partir de 1956 (après la mort de Staline) elle est peu à peu réhabilitée et peut de nouveau publier ses oeuvres.

Requiem réunit plusieurs recueils de la poète, écrits dans les années 1930, au plus fort de la répression soviétique.

Voici deux de ses poèmes :

Nuit

La lune est au ciel, à peine vivante,
Parmi des nuages petits qui s’enfuient,
Au palais une sentinelle farouche
Regarde, irritée, l’horloge de la tour.

La femme infidèle rentre chez elle,
Son visage est pensif et sévère,
Mais dans l’étroite étreinte du rêve,
La femme fidèle brûle d’un feu violent.

Que m’importe ? Il y a sept jours,
En soupirant, j’ai dit adieu au monde.
Mais on respire mal, et je me suis glissée dans le jardin
Pour voir les étoiles et toucher la lyre.

***

Comme une pierre blanche au fond d’un puits,
Dort en moi un souvenir.
Je ne peux pas, je ne veux pas me battre :
Il est joie, il est souffrance.

Il me semble que si on regardait
De près dans mes yeux on le verrait.
On se sentirait plus triste et plus pensif
Que celui qui entend le douloureux récit.

Je sais que les dieux ont transformé
Des hommes en objets, sans tuer la conscience.
Pour que vive à jamais ce miracle de douleur,
Tu es transformé en un souvenir.

***

Je vous ai présenté ce recueil poétique dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est de Patrice, Eva et Goran.

15 réflexions sur “Requiem, d’Anna Akhmatova

  1. arbrealettres

    oui je suis bien d’accord avec toi.. beau recueil 🙂
    mince j’ai déjà publié! lol!
    Bonne journée.. collègue Passeuse 😉

  2. La cavalier d'airain

    Bonjour Marie-Anne,
    Puis-je me permettre de simplement ajouter, en regard de ces magnifiques poèmes, celui d’Alexandre Blok (1880-1921) qui ne figure pas dans votre index (c’est un de mes poètes russes préférés, avec Akhmatova et Pouchkine) :

    À Anna Akhmatova

    Quand on vous dit — « La beauté est terrible » —
    Indolente, sur vos épaules
    Vous jetez un châle espagnol.
    Dans vos cheveux — une rose rouge.

    Quand on vous dit — « La beauté est simple » —
    Vous couvrez, un peu maladroite,
    L’enfant, d’un châle bigarré.
    La rose rouge a chu par terre.

    Mais, indifférente à ces mots
    Qui résonnent autour de vous,
    Vous resterez pensive et triste
    Tout en répétant pour vous-même :

    « Je ne suis ni terrible ni simple :
    Pas assez terrible pour tuer
    Tout simplement ; ni assez simple
    Pour ignorer que la vie est terrible. »

    16 décembre 1913

    (Traduit du russe par Pierre Léon
    Poésies diverses [1908-1916]
    in Le Monde terrible, Poésie/Gallimard, 2003)

    Bonne journée, à vous !

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