Recueil de courtes proses inclassables, sur des thèmes variés mais où la préoccupation de l’écriture et de la postérité de l’écrivain revient fréquemment, Nocturnal est paru chez Rhubarbe en 2013. Ecriture parfois teintée de surréalisme, j’ai cru discerner parfois des réminiscences d’Artaud ou de Lautréamont, mais j’ai préféré finalement les réflexions lucides sur le rôle et l’essence de la littérature.
Extrait page 62
L’homme qui marche, marche sans se préoccuper de garder une mémoire de sa marche. Il est tout entier dans un mouvement qui s’efface au fur et à mesure qu’il se produit. Et l’homme qui ainsi marche est heureux du mouvement qu’il donne à son corps.
L’homme qui écrit, lui, est tout entier dans le mouvement de son écriture, il est, lorsque cette écriture coule de lui avec aisance, heureux dans le mouvement de cette écriture, mais l’homme qui écrit ne se contente pas du bonheur de tracer, il veut conserver cette trace, il veut la faire partager, pire, il veut qu’elle survive au néant qu’il deviendra.
Cela est-il sage ?
Peut-on imaginer – Dante n’y a pas pensé -, si l’enfer existait, supplice plus cruel qu’un écrivain condamné à écrire, jusqu’à la fin des temps, en voyant son texte s’effacer au fur et à mesure qu’il le trace ?
Extrait page 63
Est-ce que j’écris parce que je veux écrire, parce que je me force à écrire, ou bien parce que je subis une incoercible nécessité d’écrire ? Est-ce que je ne me fais pas croire que cette nécessité existe ? Est-ce que, par désir de ressembler à certains, qui en furent possédés, je ne me crée pas de toute pièce une nécessité qu’en réalité je n’éprouve pas ? Est-ce que je ne suis pas un infect comédien et toute ma vie un mensonge ?
A écrire ces questions, en regardant le ciel gris dehors, j’entends craquer les poutres de l’édifice interne et je tremble, et le monde, autour de moi, n’est plus, par bonheur seulement l’espace d’un instant, qu’un insupportable simulacre.
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josephcurwan
/ 23 août 2018j’aime beaucoup ces deux extraits marie-anne. pourras tu l’apporter à l’appartement ?
laboucheaoreille
/ 23 août 2018Je suis contente que tu aimes, Denis, je les apporterai ! Bises !
arbrealettres
/ 23 août 2018Belles réflexions sur.. la nécessité d’écrire.. ou plus généralement celle de vouloir laisser sa trace.. même si tout est volatile en ce monde .. sauf peut-être cet désir de durer?😉
Merci Marie-Anne pour ces extraits😊
laboucheaoreille
/ 25 août 2018Merci Christian 🙂 Oui, ces extraits m’ont paru très justes et pertinents.
josephcurwan
/ 27 août 2018je viens de le terminer. très bon livre d’aphorismes, entre autre sur l’écriture. on sent l’influence de kafka, backett, voire cioran … en tout cas merci pour la découverte.
laboucheaoreille
/ 27 août 2018Contente que tu aies aimé ce livre 🙂
Bises Denis !