Des poèmes parus dans Décharge n°161

couv161Dans Décharge n°161 de mars 2014, j’ai retenu trois poèmes qui pourront vous donner un aperçu du climat poétique de cette revue.

Marilyse Leroux

Ta voix est cet espace
où tremble la fleur de rien

Elle pourra mourir
entre deux souffles
comme on pousse une porte
machinalement

Rien n’aura changé

L’air qui passe
est plus léger
que les mots

 

Denis Hamel

blues

La chair et le rêve marchent sur un même chemin
ce sont de vieux amis

en-dessous de la chair il y a le squelette
en-dessous du rêve il y a

une rivière de sang

dehors l’horrible soleil éclate de rire

quelques gouttes de parfum tombent dans la poussière

les femmes nues dans les magazines
appartiennent à une cité idéale

oh, moisissure du moi

je voudrais me coucher et ne plus jamais écrire

je voudrais

ne plus jamais être amoureux

 

Véronique Janzyk

5.

Garder les yeux
Ouverts
Le plus longtemps possible
Ouverts
Ne pas compter
Compter
Conduit à cligner
A accompagner
Les chiffres
De mouvements de paupières
Ne pas respirer non plus
Respirer conduit à cligner
Ne rien regarder
Parce que
regarder appelle respirer
C’est l’exercice
En apnée
De ne rien voir
De ne pas respirer
Et d’abolir le temps

 

Kenzaburô Ôé : Gibier d’élevage

gibier_delevage_oeLe début de l’histoire : Pendant la Seconde Guerre Mondiale, un avion américain s’écrase dans la campagne japonaise. Un seul soldat a survécu : il a sauté en parachute et a été fait prisonnier par des paysans qui l’ont ramené dans leur village. Or ce soldat est noir et, dans ce village, personne n’a jamais vu de personne de couleur. D’abord enchaîné et considéré comme potentiellement dangereux, il est enfermé dans une cave. Il est surtout un objet de curiosité pour tous les enfants du village, qui se battent pour l’apercevoir par le soupirail de la cave et  pour l’approcher, voire même pour le toucher ou lui donner à manger, comme si cet homme était une bête de foire. Quant aux adultes, ils cherchent surtout à se débarrasser de ce prisonnier encombrant, dont ils ne savent que faire : ils vont à la ville consulter les autorités mais ces dernières n’apportent pas de solution immédiate et font traîner leur décision. En attendant, les enfants adoptent tout à fait le soldat noir, le libèrent de ses chaînes, et le traitent comme un animal domestique, une brave bête aux sécrétions corporelles fascinantes, oubliant qu’il est non seulement un homme mais aussi un ennemi, sous-estimant ses capacités, niant son humanité. (…)

Mon avis : Voilà un roman extrêmement dérangeant ! Personnellement, j’ai trouvé cette déshumanisation insupportable et l’enfant qui raconte cette histoire m’a fait l’effet d’un vrai petit monstre ! Cette dénonciation du racisme est extrêmement réussie car on voit à quel point ces enfants vivent dans une sorte de monde fantasmatique, totalement déconnecté de la réalité !
J’ai beaucoup aimé l’écriture de Kenzaburô Ôé, que j’ai trouvée très travaillée, très expressive, avec des descriptions très frappantes pour le lecteur, et qui évoquent parfaitement les couleurs, les odeurs, les paysages et les mentalités enfantines.

Liebster Award

J’ai eu l’honneur aujourd’hui d’avoir été sélectionnée pour le Liebster Award par cicileartistica

Alors qu’est-ce que c’est?
Il a été crée pour promouvoir et faire découvrir des blogs qui ont moins de 200 abonnés sur Hellocoton ou Facebook. L’objectif est de se présenter un peu plus en détails et promouvoir d’autres blogs.

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En quoi ça consiste? Il faut : – mettre un lien vers le blog qui vous a choisi et tagué – donner 11 anecdotes sur soi – répondre aux 11 questions qui ont été posées par la blogueuse qui vous a nominé – et désigner 11 blogueuses nominées et leur poser 11 questions

Voici donc mes réponses aux questions qui m’ont été posées par cicileartistica:

1. Quelle est votre boisson chaude préférée?
Le café, mais j’essaye d’en boire un peu moins !
2. Quelle est la chanson que vous écoutez toujours depuis des années?
Le Baron Noir d’Arthur H. J’adore cette chanson !
3. Quel est votre objet fétiche?
Mes stylos de marque Pilot, V5, écriture fine !
4. Quel est votre animal préféré?
J’aime bien les hippocampes.
5. Quel est votre livre de chevet?
Je n’ai pas vraiment de livre de chevet. Mais le livre que j’ai lu le plus grand nombre de fois c’est Une saison en enfer de Rimbaud : une fascination !
6. Quelle est l’oeuvre d’un artiste qui vous a le plus touché, qui vous a le plus transporté?
Une œuvre pour piano de Maurice Ravel qui s’appelle Ondine, et qui fait partie du cycle Gaspard de la Nuit 
7. Quel est votre endroit préféré dans votre quartier ou dans votre ville?
J’aime beaucoup le quartier de Montparnasse.
8. Quel est votre truc pour vous détendre lorsque vous êtes stressé(e)?
Quitte à me répéter beaucoup, je vais répondre : Fumer !
9. Quel est le pays que vous rêvez depuis toujours de découvrir?
Sans doute la Chine ou le Japon !
10. Quel est le personnage (de livre, de film, connu etc) qui vous a le plus inspiré dans votre vie?
Désolée mais je ne vois pas !
11. Quel serait-le titre du roman qui raconterait votre vie?
J’écris actuellement un roman sur ma vie et il s’appelle Désordres

Les 11 anecdotes sur moi
1. Je pense reprendre des études un jour.
2. Je suis maladroite de mes mains sauf pour dessiner
3. Je bois au moins 10 cafés par jour.
4. J’aime la cuisine asiatique
5. J’avais commencé à apprendre le japonais, j’ai été régulière environ un an, et puis j’ai arrêté.
6. Je ne fais jamais de couture (cf. question 2 ! :-))
7. J’en suis toujours à acheter de la musique sur CD, je ne suis passée ni aux téléchargements ni aux mp3, mp4, etc. !
8. Je ne suis pas une femme à bijoux.
9. J’en suis restée aux photos argentiques, je ne sais pas me servir des appareils numériques (cf. question 7)
10. Je ne supporte pas la violence au cinéma, je ne vais pas voir les films déconseillés aux moins de 13 ans (bien que j’aie quelque peu dépassé l’adolescence !)
11. Depuis l’été dernier, j’apprends le modelage/sculpture, je fais de l’argile.

Les 11 questions que je pose (J’en ai piqué certaines à Bernard Pivot)
1. Quelle est votre boisson fraîche préférée? 2. Quel métier n’auriez-vous pas aimé faire ? 3. Quel est votre mot préféré dans la langue française ? 4. A quelle époque auriez-vous aimé vivre ? 5. A quel(s) jeu(x) jouez-vous ? 6. Quelle est la qualité que vous préférez (par exemple chez vos amis) ? 7. Quel était votre but en créant un blog ? 8. Si vous deviez écrire un livre, de quoi parlerait-il ? 9. Quelle œuvre d’art vous a le plus marqué ? 10. Dans quel domaine aimeriez-vous être doué ? 11. Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous, après votre mort, l’entendre vous dire ?

J’ai finalement réussi à trouver onze blogs ayant moins de 200 abonnés !

Les 11 blogueurs sont :
 C’est tout vu, tout lu  ?
L’impermanence n’est pas un rêve
Cuneipage
Colors and Pastels
Les livres de Camille
Le vent qui souffle
Mon Café Lecture
Biancat’s Room
L’heure d’Abraxas
La Vie d’un Bipolaire
Et Le blog de Sally Helliot

Echappée : un sonnet de Michel Baglin

baglin_presentJe vous écris sans savoir l’heure ou le temps qu’il fait,
d’un café, d’un hall de gare ou d’un aéroport,
d’un endroit qui vous tire le regard au dehors
sans que vous voyiez les flaques ni les ciels défaits.

Je vous écris dans cette échappée du quotidien.
C’est un voyage sans autres bruits que ceux des rues,
sans plus de larmes ou de cris ou de pas perdus
que dans une vie quelconque et son décor de rien.

C’est un lieu que je connais, un temps que je fréquente.
J’y ai des habitudes de vivant qui s’absente
dans un arrière-pays jamais très éloigné

où lève sous l’encre une nuée d’oiseaux de nuit
dont j’écris le vol dans l’espoir qu’il va m’enseigner
où ont émigré jadis les horizons promis.

****

 

Un poème de Michel Baglin (2013)

baglin_presentL’autre, c’est lui, là-bas. Toujours là-bas. Parce qu’ici,
c’est moi, c’est toi, c’est nous – c’est du pareil au même.
L’autre, c’est la peur remontée du fond des âges qui
fabrique un étranger.
Qui fait serrer les fesses, et puis les poings, et puis les
rangs.
C’est quelqu’un que l’on attendait pas, quelqu’un qui
vient de loin,
quelque autre qui s’est invité dans nos jeux de miroirs
et s’y réfracte.
Il diffère, on le compare. Il se distingue, on s’en méfie.
Et parce qu’il nous ressemble trop, les différences
s’exaspèrent.
L’autre se tient là-bas, au delà d’une frontière.
Il est le nom d’une peur commune aux êtres
dissemblables,
qui porte les peuples depuis toujours aux solidarités
de clan, de tribu, de meute.

*****

Ce poème est extrait du recueil Un présent qui s’absente, publié en 2013 par les éditions Bruno Doucey.

L’intranquille de Gérard Garouste

garouste_intranquilleQuatrième de Couverture : Je suis le fils d’un salopard qui m’aimait. Mon père était un marchand de meubles qui récupéra les biens des Juifs déportés. Mot par mot, il m’a fallu démonter cette grande duperie que fut mon éducation. A vingt-huit ans, j’ai connu une première crise de délire, puis d’autres. Je fais des séjours réguliers en hôpital psychiatrique. Pas sûr que tout cela ait un rapport, mais l’enfance et la folie sont à mes trousses. Longtemps je n’ai été qu’une somme de questions. Aujourd’hui, j’ai soixante-trois ans, je ne suis pas un sage, je ne suis pas guéri, je suis peintre. Et je crois pouvoir transmettre ce que j’ai compris. G. G.

Mon avis : Ce livre est un témoignage qui m’a touchée par sa très grande sincérité mais aussi par son intelligence. Gérard Garouste est un des peintres français contemporains les plus célèbres. Après des débuts un peu incertains, il se fait connaître dans les années 80 en décorant la boîte de nuit Le Palace, ce qui fait immédiatement de lui un peintre à la mode. Des marchands d’art américains lancent sa carrière sur le plan international mais, assez vite, on lui reproche de ne pas fournir assez de tableaux – et pour cause : il connaît de fréquents accès de délire qui l’empêchent de peindre durant des périodes assez longues. Il est en effet maniaco-dépressif et L’Intranquille ne cache rien de la violence de ses crises, de ses moments de sadisme dans ces cas-là … en particulier contre sa femme Elisabeth dont on ne peut qu’admirer la constance et le dévouement.
Gérard Garouste est un peintre figuratif qui renoue avec la grande tradition de la peinture : il fabrique lui-même ses couleurs avec des recettes traditionnelles (pigments, huiles) et ses thèmes picturaux sont une sorte de dialogue avec les symboles et les récits bibliques. Il apprend même l’hébreu pour pouvoir lire les textes sacrés dans leur langue originelle, et consulte des rabbins pour l’éclairer sur telle ou telle interprétation d’un texte. Il a pensé se convertir au Judaïsme et célèbre plusieurs fêtes juives avec sa famille. Comment ne pas y voir la volonté d’un fils de réparer les erreurs d’un père antisémite ?

Je suis vraiment entrée de tout cœur dans ce beau récit, partageant souvent les sentiments de Gérard Garouste, admirant son énergie, sa combattivité et son esprit sans cesse en éveil.

Extrait page 125 :

Je vis dans un pays aux idées très arrêtées, accroché à son concept d’avant-garde. Je ne peux effectivement pas le représenter, je ne crois plus à ce mot, ni au mot « moderne » ou « original ». C’est devenu une recette, on s’installe dans l’originalité, on est acheté à Beaubourg et on rentre dans la nouvelle académie du XXè siècle, où le discours fait l’œuvre.
L’avant-garde au musée n’est plus une avant-garde ! La provocation n’est plus une provocation si elle est à la mode ! La France entretient pourtant cette idée comme une vieille mariée, parce qu’elle se flatte et se repent en même temps d’avoir abrité et méprisé les impressionnistes, une bande d’Indiens géniaux qui fréquentaient le même quartier, les mêmes cafés et s’échangeaient leurs toiles faute de les vendre. Comme toujours elle campe sur son histoire, et, d’une révolution pleine de sens, cent ans plus tôt, elle a fait un dogme.